Une étude de l’Ifri parue le 6 janvier révèle les dessous du ralliement d’Al-Mourabitoune, le groupe de Mokhtar Belmokhtar, à Aqmi en décembre 2015. L’occasion de faire le point sur les différentes composantes de la mouvance jihadiste au Sahel.
Janvier 2007 : le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) devient officiellement Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) avec l’aval de Oussama Ben Laden
Décembre 2012 : le jihadiste algérien Mokhtar Belmokhtar rompt avec AQMI. Il fonde quelques mois plus tard Al-Mourabitoune
Janvier 2013 : début de l’intervention française au Mali (opération Serval)
Décembre 2015 : l’émir d’AQMI, Abdelmalek Droukdel, annonce le ralliement d’Al-Mourabitoune, le groupe de Mokhtar Belmokhtar
À l’occasion de la parution, le 6 janvier, d’une étude de l’Ifri (Institut français des relations internationales)- "Aqmi et Al-Mourabitoune : le jihad sahélien réunifié ?" - France 24 a interrogé son auteur, Marc Mémier, chercheur sur les questions terroristes au Sahel et en Afrique du Nord, pour faire le point sur la nébuleuse jihadiste dans la région.
Quelle place occupe aujourd’hui Al-Mourabitoune au sein d’Aqmi ? Est-une nouvelle katiba (brigade) depuis le ralliement de décembre 2015 ?
Le ralliement d’Al-Mourabitoune à Aqmi est moins étonnant qu’il n’y paraît. Il est important de préciser que si les tensions étaient telles en 2012 qu’une scission était devenue presque inévitable, les échanges et liens humains n’ont jamais cessé d’exister. Avant l’annonce officielle du ralliement, des rencontres et des patrouilles conjointes avaient lieu entre les hommes d’Al-Mourabitoune et d’Aqmi, qui se fréquentaient à Gao. La "rupture" entre Belmokhtar et Droukdel n’a jamais été définitive : des échanges se sont poursuivis entre les deux leaders. Enfin, il faut rappeler que malgré les divergences qu’il a pu avoir avec Droukdel, Belmokhtar demeure un pur produit d’Al-Qaïda et de sa branche maghrébine dont il a été l’un des principaux fondateurs lors de la mutation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC).
Sur le plan formel, on peut dire qu’Al-Mourabitoune est aujourd’hui une katiba d’Aqmi reconnue en tant que telle par Droukdel. Dans les faits cependant, le groupe dispose d’une quasi totale autonomie d’appréciation, de commandement et d’exécution par rapport au commandement d’Aqmi. Par ce statut particulier, ses capacités et la légitimité historique de son leader, Al-Mourabitoune ne peut donc être comparé aux autres katibas sahéliennes.
Selon votre étude, l’intervention française au Mali a indirectement contribué au retour d’Al-Mourabitoun dans le giron d’Aqmi. Comment ?
L’opération Serval lancée au Mali en janvier 2013 a largement affaibli et déstructuré Aqmi. En éliminant de nombreux chefs, parmi lesquels Abou Zeid, l’opération a brisé en partie la chaîne de commandement de l’organisation. L’opération Serval a aussi sonné le glas du projet d’Émirat islamique de l’Azawad au Nord-Mali. Mais en frappant dans la fourmilière malienne, l’action de la France a également rebattu les cartes de la menace terroriste, qui s’est régionalisée et divisée. De nouveaux groupes et de nouvelles alliances sont apparues. Poussé dans ses retranchements, Aqmi a été contraint de poursuivre une logique de regroupements avec d’autres mouvements pour continuer à rester visible. Avec son aura médiatique, sa capacité de projection extérieure et son pouvoir de séduction auprès de nombreux combattants, Al-Mourabitoune représentait indéniablement un atout majeur. C’est ainsi que Droukdel s’est rapproché de Belmokhtar et l’a appelé à revenir dans les rangs d’Aqmi.
En quoi la montée en puissance de l’EI a-t-elle favorisé le ralliement d’Al-Mourabitoune à Aqmi en décembre 2015 ?
Suite à l’appel lancé en juin 2014 aux musulmans du monde entier par le chef de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi, de rejoindre son Califat, Aqmi a subi de nombreuses défections dans ses rangs. En Algérie, par exemple, une ex-brigade d’Aqmi, les Soldats du Califat, a annoncé quelques mois plus tard son allégeance à Al-Baghdadi. Le mouvement de défection a aussi touché, dans une moindre mesure, l’Afrique de l’Ouest. En mars 2015, c’est Boko Haram, qui avait entretenu des liens avec Aqmi, qui prête allégeance à l’EI.
Mais c’est en Libye que la véritable lutte d’influence entre les deux organisations a eu lieu. À partir de Derna, la branche libyenne de l’EI progresse rapidement vers l’ouest jusqu’à Syrte, au prix de confrontations avec d’autres groupes dont des partisans d’Al-Qaïda. Depuis la Libye, Belmokhtar assiste ainsi à la progression de l’EI et à la déperdition de combattants partis rejoindre l’EI, y compris dans son propre camp. À son tour il va alors se rapprocher de Droukdel et proposer d’adopter une stratégie commune afin d’"unir les moudjahidines" face à la montée en puissance de l’EI.
Votre enquête perce en partie le mystère d’Al-Mourabitoune. Quels sont les effectifs et les profils des combattants ?
Il est très difficile d’évaluer précisément leur nombre. Pour ce qui est de la branche restée fidèle à Belmokhtar (qui doit bien être distinguée de la branche dirigée par Al-Sahraoui ayant prêté allégeance à l’EI), ils sont estimés entre 200 et 250 hommes, dont seulement une cinquantaine de combattants actifs. Un faible nombre qui ne doit pas présumer de l’efficacité du mouvement : la logique est celle d’une guerre asymétrique qui ne nécessite pas forcément un grand nombre de combattants actifs mais quelques-uns bien repartis dans plusieurs cellules. Ces hommes sont surtout des Touareg et des Africains noirs alors que les Arabes sont minoritaires. La plupart sont Maliens mais on trouve aussi des Nigériens, des Sénégalais, des Burkinabè et quelques Mauritaniens. Si on compte des Algériens et des Tunisiens parmi les cadres, les combattants sont en majorité locaux et répartis en petites cellules dans plusieurs pays sahéliens, y compris certains pays côtiers.
L’EI semble avoir pris l’avantage sur Aqmi en termes d’influence, de leadership et de recrutement de combattants. La tendance peut-elle encore s’inverser en faveur d’Aqmi ?
Il est vrai que depuis 2014 l’EI a eu des conséquences négatives sur l’ancrage régional d’Aqmi. Mais la branche maghrébine d’Al-Qaïda n’est pas morte pour autant. Après quatre ans d’opération militaire franco-africaine au Sahel, l’organisation a démontré une certaine capacité de résilience par sa faculté à se réorganiser et se redéployer dans d’autres territoires. De plus, les récentes déroutes de l’EI en Libye, comme en Syrie en Irak, pourraient bien profiter à Al-Qaïda et à Aqmi en particulier dans les mois à venir. Déjà, suite à l’éviction de l’EI de Syrte, en Libye, et son repli vers le sud du pays, certains de ses chefs se sont rapprochés d’Al-Mourabitoune. Le groupe de Belmokhtar a également été renforcé récemment par le retour de plusieurs combattants maghrébins de l’EI venant du front syro-irakien.
Ce n’est pas encore un phénomène de grande ampleur mais on peut imaginer qu’une défaite militaire de l’EI face à la coalition internationale en Syrie et en Irak entrainerait inévitablement la dispersion de milliers de combattants, dont un grand nombre pourrait alors être tenté de poursuivre le jihad sous le drapeau d’Al-Qaïda et de sa branche maghrébine.