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Un agriculteur de la vallée de Roya jugé pour avoir aidé des migrants

Un agriculteur de la vallée de la Roya, Cédric Herrou, a comparu, mardi devant le tribunal de Nice pour avoir aidé bénévolement des migrants à franchir la frontière entre la France et l’Italie. Le procureur a requis huit mois de prison avec sursis.

Le réseau d’agriculteurs solidaires des migrants de la vallée de la Roya est de nouveau dans le collimateur de la justice. Cédric Herrou a comparu, mercredi 4 janvier, devant le tribunal de Nice pour avoir aidé à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière. Le procureur a requis huit mois d'emprisonnement avec sursis, mise à l'épreuve et la confiscation de son véhicule, alors que la décision a été mise en délibéré au 10 février.

Face au tribunal, Cédric Herrou a revendiqué des actes "politiques" : "Je le fais parce qu'il y a des gens qui ont un problème, je le fais parce qu'il faut le faire. Il y a des gens qui sont morts sur l'autoroute, il y a des familles qui souffrent, il y a un État qui a mis des frontières en place et qui n'en gère absolument pas les conséquences".

Le procureur Jean-Michel Prêtre a pour sa part dénoncé l'usage de ce procès comme d'une "tribune politique". "Nous sommes dans la situation d'un procès qui a été voulu, qui procède d'une stratégie générale de communication, de portage militant d'une cause et qui fait que la justice est saisie aujourd'hui de faits reconnus", a-t-il estimé. "Ce n'est pas à la justice de décider de changer la loi, ce n'est pas à la justice de donner une leçon de diplomatie à tel ou tel pays".

L’agriculteur de 37 ans, qui ne s’est jamais caché de ses activités et apparaît à visage découvert dans plusieurs reportages, risque 30 000 euros d’amendes et cinq ans de prison pour avoir conduit, en octobre 2016, des migrants sans-papiers originaires d’Afrique entre l’Italie et la France.

REPORTAGE. Un agriculteur au tribunal pour aide aux migrants : #franceinfo s'est rendu dans la vallée de la Roya https://t.co/OiGeWHJYHn pic.twitter.com/CJXMXbbXLE

— franceinfo (@franceinfo) 4 janvier 2017

Arrêté en août 2016 lors d’un contrôle policier, l’agriculteur n’avait pas été poursuivi à l’époque, car la justice avait reconnu que son aide était bénévole. C’est aujourd’hui l’aspect militant de sa démarche que lui reproche le tribunal.

"Il ne s’est rien passé de plus [depuis son arrestation en août] et Cédric avait déjà été blanchi. C’est là tout le problème juridique, en tant que citoyen, je ne comprends pas ce changement de la justice", a réagi auprès de France 24 René Dahon, un habitant de la vallée de la Roya impliqué dans l’aide aux migrants.

Cédric Herrou est de fait devenu un symbole de la solidarité avec les migrants dont la renommée a dépassé la seule vallée de la Roya. Élu "Azuréen de l’année" lors d’un sondage du quotidien régional Nice Matin, l’agriculteur avait réagi en affirmant que le problème migratoire était "une lutte partagée par des milliers de personnes".

"Les citoyens sont favorables à l'ouverture d'un centre d'accueil pour migrants dans le département, et ce n'est pas la volonté d'une poignée de militants d'extrême gauche", avait alors confié Cédric Herrou à Nice Matin.

Un agriculteur au tribunal pour aide aux migrants : "Je préfère être enfermé et avoir la tête libre en prison" - Cédric Herrou à #franceinfo pic.twitter.com/CqSnN9sJY2

— franceinfo (@franceinfo) 4 janvier 2017

Élan de solidarité avec les migrants

Cédric Herrou habite une ferme à Breil-sur-Roya, un village de 2 400 habitants qui est apparu sur le radar des routes migratoires lorsque les contrôles policiers ont largement fermé la route côtière et le train entre Vintimille en Italie et Nice. Le flux de migrants dans la région s’est un peu tari cet hiver du fait du froid glacial qui sévit dans la vallée de la Roya.

"Cela dit, la semaine dernière il y a encore eu un arrivage de 50 à 60 jeunes Érythréens. Comprenez que dans un village qui abrite deux-cents personnes, quand il y a cinquante personnes qui arrivent soudainement, c’est difficile… Le problème reste entier pour cette poche de la Roya", explique René Dahon, qui estime qu’il y a actuellement une petite centaine de migrants hébergés chez l’habitant dans la vallée.

La vallée de la Roya est une région montagneuse parsemée de villages français et italiens. Pour de nombreux habitants, le sens de la solidarité envers des migrants désorientés, qui arrivent parfois à pied depuis l’Italie voisine, prévaut sur les politiques migratoires décidées à Paris.

Un journaliste du quotidien L’Humanité avait décrit en juin 2016 le fonctionnement du réseau d’aide aux migrants : "On offre le gîte et le couvert. On se fait discret. On appelle une ou deux personnes de son entourage pour expliquer la situation. Puis, quelques jours après, le téléphone sonne. Un ami organise une randonnée sur des sentiers que seuls les bergers et les natifs du coin connaissent." "L’équipée solidaire monte vers des cols encore plus hauts dans la montagne. Une voiture attend de l’autre côté, dans une vallée voisine. On échange une dernière accolade avec les hôtes venus de l’autre rive de la Méditerranée", écrivait alors le reporter du journal communiste.

Le procès de Cédric Herrou fait suite à celui de Pierre-Alain Mannoni, un professeur d’Université niçois qui a été jugé en novembre dernier pour avoir véhiculé trois Érythréennes dans la vallée de la Roya. Le verdict de Pierre-Alain Mannoni doit être rendu le vendredi 6 janvier.

En attendant, dans la vallée de la Roya, les résidents qui aident les migrants affirment qu’ils ne se laisseront pas intimider par le résultat de ces procès. Pour René Dehon, la sévérité de la justice aurait même l’effet inverse.

"Quand nous avons commencé ce travail avec les premiers migrants il y déjà deux ans, nous étions une petite poignée. Quand on a fait l’occupation forcée du centre de vacances désaffecté des Lucioles [en octobre 2016] pour mettre 60 personnes à l’abri, on était une cinquantaine", rappelle le retraité de l’enseignement. "Et maintenant, s’il y avait un deuxième problème de cette ordre-là, c’est par centaines que l’on pourrait compter les aidants".