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, envoyée spéciale de Floride – Alors que les grands électeurs américains votent lundi pour officialiser l'élection du président, des contestataires se mobilisent pour tenter de dissuader les élus d'adouber leur candidat. Reportage en Floride au cœur d’une manifestation anti-Trump.

Les quelques gouttes de pluie tombées du ciel de Floride n’ont pas douché la bonne humeur des manifestants rassemblés devant le Parlement du "Sunshine State", à Tallahassee, ce samedi 16 décembre. Venus des quatre coins de la grande péninsule (721 km de long) et du spectre politique, ces Américains sont ici pour demander l’impossible, ou presque : que le collège électoral, ces 538 grands électeurs désignés par le vote populaire du 8 novembre, choisisse un autre candidat que Donald Trump, jugé incompétent.

Susan Gage, une ancienne journaliste qui vit depuis 27 ans à Tallahassee, décrit sa ville comme "un de ces petits points bleus (la couleur démocrate, NDLR) dans le coin rouge d’un Etat rouge". Présente ce jour-là face au Parlement de Floride, elle estime qu’aucun des grands électeurs de la péninsule, dont certains qu'elle connaît personnellement, ne "retournera son vote". "Le Parti républicain de Floride fonctionne comme ça : tu fais ce qu’on te dit ou t’es foutu."

En Floride, l’affaire semble donc mal embarquée, malgré la mobilisation de samedi. Ici, comme dans 28 autres États, la loi oblige les grands électeurs à voter pour le candidat désigné par le vote populaire local, sous peine de devoir payer une petite amende.

@POTUS pour Trump ?

Au niveau national, ce n’est guère mieux : avec 306 grands électeurs, Donald Trump semble assuré d’obtenir les convoités identifiants de @POTUS, le compte Twitter du président des États-Unis d’Amérique. Sa rivale, la démocrate Hillary Clinton, a d’ailleurs reconnu sa défaite dès le 9 novembre.

Mais le fait que Donald Trump remporte la mise malgré un retard de plus de 2,6 millions de voix sur Hillary Clinton a relancé le débat autour du système électoral américain. Ce dernier, instauré à l’aube de l’histoire des États-Unis, alloue à chaque État un nombre de grands électeurs égal au nombre de sénateurs (2 pour chaque État) plus un nombre de représentants proportionnel à la population (43 pour la Californie, État le plus peuplé, par exemple).

Dans chaque État, ces grands électeurs sont attribués aux candidats en fonction du vote populaire (le nombre de voix), soit proportionnellement, soit intégralement pour le candidat ayant remporté la majorité des voix (winner takes all). Or, près de 54 % des Américains jugent aujourd’hui, selon un sondage pour CBS, que leur président devrait être élu sur la base du seul vote populaire (contre 41 % souhaitant conserver le système actuel).

Soupape de sécurité

En conséquence, les grands électeurs républicains ont été inondés de requêtes appelant à faire jouer la "soupape de sécurité" que représente le collège. Des initiatives en ce sens, venant des grands électeurs eux-mêmes ou de groupes de citoyens, se sont multipliées. Un mot-dièse, #SendItToTheHouse ("Envoyez le problème à la Chambre"), a même émergé dimanche, appelant les grands électeurs à exploiter la possibilité de confier l’élection à la Chambre des représentants si aucun des candidats n’obtient 270 voix au sein du collège électoral.

Trump, quant à lui, a changé d’avis à propos de ce même système électoral. Lui qui l’avait jugé "désastreux pour la démocratie" dans un tweet de novembre 2012, trouvait finalement qu’il tenait du "génie" après avoir remporté la majorité des grands électeurs le 8 novembre.

Les chances que ces initiatives aboutissent sont infimes. Un seul grand électeur républicain, Christopher Suprun (Texas), a publiquement annoncé qu’il ne voterait pas pour Trump. Or, il faudrait 37 défections, au moins, pour empêcher l’excentrique milliardaire d’obtenir les 270 voix nécessaires.

L’organisatrice du rassemblement de samedi à Tallahassee, Lakey Love, est doctorante à l’Université de Floride. Mégaphone à la main, elle fait répéter des slogans tels que "Racist, sexist, anti-gay, Donald Trump go away !" (Raciste, sexiste, homophobe, Donald Trump, dégage) ou "Hey, Hey, Let’s be Clear, Donald Trump’s not welcome here !" (hé, soyons clair, Donald Trump n’est pas le bienvenu ici).

Elle a rencontré plusieurs des participants lors d’anciennes manifestations, qu’elle s’attend malheureusement à être suivies de nombreuses autres. Jeannette Petersen, par exemple, était déjà là lors de la marche juste après l’élection. Comme Gage, elle sait qu’en Floride, le paysage politique laisse peu de marge de manœuvre aux grands électeurs républicains. Mais elle s’accroche à l’espoir que juste assez "d’électeurs avec une conscience" accorderont leur bulletin secret à un troisième candidat.

"Make America Great Again"

Au milieu du rassemblement, un homme trapu, portant un t-shirt rouge marqué du slogan de Trump, "Make America Great Again", et la casquette assortie, tente d’interrompre les orateurs de la manifestation, depuis le trottoir d’en face. Face à leur apparente (et forcée) indifférence, il finit par traverser la rue pour se moquer. "Cette manifestation me fait bien rire, dit-il avant de demander : Pourquoi n’essayez-vous pas de rendre l’Amérique de nouveau grande (le slogan de Trump, NDLR) au lieu de continuer à pleurnicher d’avoir perdu ?"

Expliquant à France 24 pourquoi il militait pour Trump après avoir voté Obama deux fois, cet homme, Gary Snow, pointe les défauts d’Obama Care, la réforme du système de santé menée par l’actuel président, et appelle Trump à aller au bout de son idée de construire un mur à la frontière avec le Mexique. "Il possède une entreprise dans le bâtiment, donc pourquoi ne pas ériger ce mur ?" Un manifestant, passablement énervé par la position du militant pro-Trump sur l’immigration, fini par intervenir. La conversation, très animée, est courtoisement mais fermement interrompue par six agents de police du Parlement.

"J’espère simplement que si les gens au pouvoir se rendent compte qu’assez d’Américains sont effrayés et souffrent, ils seront obligés de nous écouter", confie Tao Althea Valentine, une co-organisatrice.

Tout en rangeant ses haut-parleurs dans le coffre d’une voiture, Lakey Love dit regretter l’attention portée au militant pro-Trump par les journalistes de deux chaînes locale de télévision. "C’est un peu triste qu’ils lui donnent tant d’attention. Il était seul alors que nous étions si nombreux, mais pacifiques et ennuyeux."

"Ouais, mais au moins on garde espoir", répond Valentine, pancartes sous le bras.

Traduit de l'anglais par Valentin Graff