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"Sites Éternels : de Bâmiyan à Palmyre" : l’exposition qui prouve que l’EI ne tuera pas l’Histoire

À partir de mercredi, le Grand Palais accueille "Sites Éternels", une émouvante exposition destinée à faire la lumière sur le sort réservé – sinon déjà scellé – aux sites archéologiques piégés au cœur des conflits qui ravagent le Moyen-Orient.

Selon l’UNESCO, les six sites syriens inscrits au patrimoine mondial, ainsi que de nombreux autres, "ont été endommagés ou pillés, voire détruits à différents degrés". Alors que le groupe État Islamique (EI) s’est à nouveau emparé de la ville antique de Palmyre, située au centre de la Syrie, l’exposition "Sites éternels : de Bâmiyân à Palmyre", qui se tiendra du 14 décembre au 9 janvier dans la galerie sud-est du Grand Palais, semble tristement synchronisée avec l’actualité brûlante.

La Réunion des musées nationaux-Grand Palais, associée au Musée du Louvre, a ainsi choisi de braquer les projecteurs sur quatre sites aujourd’hui gravement menacés par l’extrémisme religieux et les conflits armés qui ne cessent de ravager le territoire syrien et ses alentours : le site de Palmyre donc, mais aussi la grande Mosquée des Omeyyades de Damas, le Krak des Chevaliers et l’ancienne capitale du roi Sargon, Khorsabad. 

Les célèbres temples de Bâl et de Baalshamin sont tombés en août 2015 sous les explosifs de l’EI

Les trois premiers sont en Syrie, le quatrième en Irak, à quelques kilomètres de Mossoul. Hormis la grande Mosquée, tous ont été le théâtre d’affrontements au cours de ces dernières années et ont subi des destructions d’ampleur variable. À Palmyre, les célèbres et colossaux temples de Bâl et de Baalshamin sont, eux, tombés en août 2015 sous les explosifs de l’EI, suscitant une vive émotion au sein de la communauté internationale.

Le Krak des Chevaliers, qui se dresse à la périphérie de la capitale syrienne, a lui aussi été endommagé, bien que le site reste plutôt bien conservé dans son ensemble. Enfin, s’il ne subsistait déjà de Khorsabad que quelques vestiges à conserver précieusement, on y apprend que des pilleurs y construisent constamment des tunnels pour récupérer des reliefs et ainsi alimenter le marché noir des antiquités, réduisant à néant les chances de collecter les indices nécessaires à la reconstitution du palais.

Immersion au cœur des sites

Dans une scénographie tout en retenue, la partie principale de l’exposition nous plonge ainsi au cœur des sites, à l’aide de photo-films en 360° projetés au mur, musique poignante en renfort. "Chaque film apporte un éclairage particulier sur la destruction, la conservation, la restauration de ce patrimoine en danger : le pillage des antiquités pour Khorsabad, la reconstruction et ses enjeux pour Palmyre, la (re)découverte archéologique pour la mosquée des Omeyyades, et enfin, la conservation et la valorisation des ruines pour le Krak des chevaliers", explique les commissaires dans le communiqué de l’exposition

Cela nous rappelle à quel point le passage de l’homme peut aussi être destructeur que salvateur

Pour illustrer ces images, quelques œuvres emblématiques des sites conservées au musée du Louvre ont été disposées dans la salle, comme un lion couché rugissant en bronze retrouvé fixé au dallage du palais de Khorsabad. 

Dans une seconde pièce, intitulée "Le Laboratoire des images", ce sont les techniques de relevés employées par les archéologues à travers les décennies qui sont présentées. Gravures, aquarelles, photographies, et enfin, modélisations numériques récemment effectuées sont ainsi accessibles au visiteur sur des tablettes, réparties site par site et surtout chronologiquement. Indéniablement, cette documentation nous rappelle à quel point le passage de l’homme peut être aussi destructeur que salvateur lorsqu’il s’agit de préserver son histoire.

Iconem ou la 3D comme espoir

Mais toute cette grande sensibilisation à la notion de patrimoine en danger n’aurait pu être possible sans le travail fourni par une start-up, dont France 24 vous parlait déjà en mars dernier. Depuis 2013, date de sa fondation par Yves Ubelmann, un architecte-archéologue, et Philippe Barthelemy, un pilote d’avion, l’entreprise parisienne Iconem s’est donnée pour mission de photographier et de reproduire en 3D les sites menacés à travers le monde. Forcément, en Syrie, il y avait de quoi faire. Photos de sol ou prises avec des perches télescopiques, vidéos et surtout, captures d’images par drone, Iconem a développé ses propres méthodes pour "préserver la connaissance du patrimoine, là où il est danger". 

Ce sont leurs relevés que la Rmn-Grand Palais et le Louvre ont utilisé pour l’exposition. "À l’origine, notre travail était destiné à la communauté scientifique. Mais au regard de l’actualité, on a réalisé à quel point ces données visuelles pouvaient avoir une portée sur le grand public", confie Yves Ubelmann à Mashable FR. Dans le fameux "Laboratoire", le visiteur peut ainsi admirer en réalité augmentée, grâce à la technologie Tango de Google adaptée sur quatre smartphones Phab 2 Pro de Lenovo, l'arche de Palmyre avant sa destruction ou encore telle qu'elle est aujourd'hui. Dès mercredi, tout internaute pourra aussi vivre de chez lui la même immersion, cardboard en main, sur une plate-forme dédiée de l'Institut Culturel de Google.  

Aujourd'hui, on peut voir l'ampleur des dégâts mais aussi la grandeur passée des sites archéo grâce à la technologie Tango de @GoogleFR pic.twitter.com/JjyrK1njb2

— Marine Benoit (@marin_eben) 12 décembre 2016

Seulement trois jours après la récupération de Palmyre par l’armée syrienne, en mars, les deux hommes sont les seuls experts à avoir pu se rendre sur les ruines de la cité antique. Ils y ont constaté les premiers, par drone, l’ampleur des dégâts, mais aussi celle, plus positive, des zones encore intactes. "Car c’est avant tout un message d’espoir que nous voulons faire passer : tout n'est pas détruit, loin de là ! Et dans les années à venir, quand la situation le permettra, il faudra revenir admirer ce site grandiose qu'est Palmyre, et tous les autres de la région qui valent le détour", relativise Yves Ubelmann. "À travers cette exposition, et plus largement notre projet, nous souhaitons éveiller les consciences quant à l'urgence de numériser notre patrimoine, partout dans le monde."

À la sortie de l'exposition, un écran diffuse une série de photos. Ces clichés, ce sont ceux des internautes, regroupés sous le hashtag #souvenirsiteseternels et pris pendant leurs voyages, alors qu'ils étaient encore bien debout. Car ce que le fanatisme ne pourra jamais détruire, ce sont bien les souvenirs. Surtout s'ils sont numérisés.

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