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États-Unis : la fronde des Sioux contre l’oléoduc, prémices d'une résistance anti-Trump

Craignant que Donald Trump ne finisse par entériner le projet d’oléoduc passant près d’une réserve sioux du Dakota du Nord, Amérindiens et militants écologistes restent mobilisés. Et fédèrent autour d’eux d’autres mouvements de résistance.

Après plusieurs mois d’une importante mobilisation, tribus amérindiennes, écologistes et défenseurs des droits des "Native Americans" ont obtenu des autorités américaines, dimanche 4 décembre, le rejet du passage d’un oléoduc, près de la réserve sioux de Standing Rock, dans le Dakota du Nord, non loin de la frontière canadienne.

Mais pour beaucoup, cette victoire pourrait n’être que temporaire. Donald Trump, qui doit prendre ses fonctions à la Maison Blanche le 20 janvier, a plusieurs fois fait part de son intention d’entériner le projet contesté. Sur place, malgré des températures hivernales peu favorables, la mobilisation continue et fédère des mouvements environnementaux. France 24 fait le point.

• Pourquoi la tribu Sioux de Standing Rock s’oppose-t-elle à l’oléoduc ?

Baptisé Dakota Access Pipeline (DAPL), l’oléoduc doit traverser quatre États américains sur 1 886 kilomètres et acheminer le pétrole extrait dans le Dakota du Nord jusque dans l'Illinois, plus au Sud. Alors que le projet prévoyait initialement de traverser Bismarck, la capitale du Dakota du Nord, le tracé a finalement été dérouté à proximité de la réserve amérindienne de Standing Rock.

Or, la tribu sioux, à qui ces terres ont été cédées en 1851, accuse l’entreprise texane Energy Transfer Partners, le constructeur du projet, d’avoir décidé du parcours sans la consulter. Les Amérindiens considèrent, en outre, que l'oléoduc menace leurs sources d'eau potable et plusieurs sites sacrés où sont enterrés leurs ancêtres.

De son côté, Energy Transfer Partners se fait fort de rappeler que les Sioux n’ont jamais pris part aux réunions organisées en 2015 et que le DAPL se trouve à 800 m de la réserve mais ne la traverse pas. Dimanche, le génie civil de l’administration fédérale lui a toutefois demandé d’examiner un nouveau tracé, qui prendrait en compte les doléances amérindiennes. Depuis, la compagnie dénonce une décision "purement politique" prise par l'administration du président Barack Obama.

• Ce mouvement de protestation constitue-t-il une première pour les Amérindiens ?

"Certes, il existe un historique des luttes indiennes pour protéger leurs terres et protéger la terre, la plus emblématique d’entre elles étant la bataille de Little Big Horn en 1876. Mais, à Standing Rock, il s’agit d’un mouvement de contestation qui est inédit par son ampleur, constate Anne Deysine, spécialiste des questions politiques et juridiques aux États-Unis*. À ma connaissance, il n’y en a rien eu de si mobilisateur."

Vent debout depuis avril contre l’oléoduc, la communauté sioux de Standing Rock a reçu au fil des semaines le soutien d’une centaine d’autres tribus amérindiennes. Peu médiatisé durant la campagne pour la présidentielle, le mouvement a peu à peu attiré l’attention de l’opinion public du fait de l’engagement de responsables politiques, telle l’ex-candidate du Parti vert à la présidentielle Jill Stein, et de stars hollywoodiennes comme Mark Ruffalo et Shailene Woodley.

Des centaines puis des milliers de manifestants ont progressivement rejoint le camp de tipis et de caravanes installé sur les rives du Cannon Ball River. Le week-end dernier, quelque 2 000 anciens combattants venus sécuriser la zone menacée d’évacuation, et ce malgré des températures glaciaires (des chutes à -20˚C sont attendues dans le courant de la semaine).

Le bras de fer entre les manifestants et le constructeur Energy Transfer Partners a donné lieu à des violences, comme le 3 septembre 2016 où, rapporte Le Monde, "des agents de sécurité privés ont lâché des chiens et gazé les manifestants, qui ont répondu par des jets d’objets".

• La construction du pipeline passant près de Standing Rock est-elle définitivement enterrée ?

Malgré la décision du gel du tronçon contesté, les Amérindiens savent que le combat est loin d’être terminé. "Il reste encore des questions en suspens, s’est inquiété auprès de l’AFP Dallas Goldtooth, l’un des leaders de la contestation. La plus importante des interrogations consiste à savoir ce que l'administration Trump va faire."

Selon plusieurs médias, le président élu possédait, il y a encore quelques semaines, des parts dans la société Energy Transfer Partners, laquelle a participé au financement de sa campagne. Depuis plusieurs jours, les conseillers de Donald Trump apportent publiquement leur soutien au projet, signe que sa future administration envisage d’accorder le permis de construire à Standing Rock.

D’ici là, l’actuelle administration ne peut plus faire grand-chose. "Barack Obama peut agir par voie de décret, mais Donald Trump peut tout à fait le défaire à la seconde où il arrive au pouvoir", commente Anne Deysine.

• Le mouvement de Standing Rock peut-il cristalliser la protestation anti-Trump ?

À l’origine portée par les communautés amérindiennes et les militants écologistes, la contestation anti-DALP fédère aujourd’hui d’autres mouvements. "Our Revolution", le groupe d’action politique lancé par Bernie Sanders au lendemain de sa défaite à la primaire démocrate, s’est officiellement engagé aux côtés des protestataires de Standing Rock. Idem pour les militants afro-américains de "Black Lives Matter".

Au-delà de la défense des terres amérindiennes, Standing Rock témoigne de l’esprit de résistance, qui a gagné une frange de la population depuis la victoire de Donald Trump à la présidentielle. Reste que ce combat contre l’injustice risque de virer au rapport de force. Pour l’heure, la balance penche en faveur de la société Energy Transfer Partners puisqu’elle a reçu les autorisations de quatre États que l’oléoduc doit traverser (Dakota du Nord, Dakota du Sud, Iowa et Illinois). Entre les États, qui veulent le pipeline, l’État fédéral qui temporise et les entreprises pétrolières qui comptent sur le président élu pour entériner le projet, "cela va être difficile de gagner", juge Anne Deysine. "Ce qu’on fait les Indiens et leur soutien est fantastique mais ils vont être confrontés à des blocages entre le privé et le public, ajoute-t-elle. Ce qui est paradoxal car c’est, en partie, ce type de situation qui a poussé les gens à voter pour Donald Trump."