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Violences faites aux femmes : Internet, ami ou ennemi des femmes ?

À l'occasion de journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes, Mashable FR s'est interrogé sur la place occupée par les réseaux sociaux sur la question.

On sait que de nombreuses campagnes de sensibilisation contre les violences faites aux femmes sont déployées sur les médias sociaux. Rien d'étonnant à cela : YouTube, Twitter ou encore Facebook sont des endroits où la conversation se fait. En un sens, ils forment ce que l'on pourrait appeler "le bistrot d'Internet".

Mais ce bistrot-là, à quoi ressemble-t-il vraiment ? Et surtout, qu'a-t-il en commun avec le bistrot le plus bruyant de votre quartier, celui devant lequel vous passez tous les jours pour aller au métro ou acheter une brique de lait ? Beaucoup de choses, à vrai dire : comme le bistrot réel, "le bistrot d'Internet" est peuplé d'individus ivres se laissant porter par la bêtise crasse, le sexisme et les insultes. Mais comme dans un bistrot réel, il peut aussi être un lieu de sociabilité et de confidence, un endroit où l'on profite de l'agora pour chercher conseil et réconfort.

À ce titre, disons-le : en matière de violence sexiste, Internet est à la fois l'ami et l'ennemi des femmes.

Les réseaux sociaux, catalyseur de la violence verbale envers les femmes

Parce qu'ils offrent un mégaphone à chacun, les réseaux sociaux sont un réservoir à insultes, parfois proférés par des internautes incapables de réellement comprendre que le fait d'être derrière un écran n'enlève rien à la violence des mots.

Devant une législation encore insuffisante et des efforts plus que balbutiants (Twitter vient à peine de permettre à ses utilisateurs de se protéger du harcèlement en ligne en bannissant certains mots-clés), le harcèlement en ligne n'a aucune limite. Du commentaire Facebook au billet de blog, des millions de nouveaux contenus apparaissent chaque jour sur la Toile, parmi lesquels des propos insultants, sexistes, incitant à la violence ou au racisme. Parfois, ces contenus sont le reflet d'une réalité discriminante et violente, comme la prolifération des incitations à la violence envers certaines femmes sur Internet. Dans la réalité, une femme sur 3 est victime de violence au moins une fois dans sa vie.

"Les mots tuent", rappellent d'ailleurs le collectif de femmes journalistes "Prenons la Une", qui propose aux rédactions de faire attention à certaines expressions employées. Ainsi, font-elles remarquer, parler de "crime passionnel" pour désigner un meurtre conjugal, aura tendancer à minimiser l'événement en lui donnant une aura romantique qu'il ne mérite pas.

En attendant, et souvent sous couvert d'anonymat, les propos encourageant ces pratiques violentes se multiplient. Médiatisée ou non, chaque femme présente (activement ou non) sur les réseaux sociaux prend le risque d'être méprisée, insultée, encouragée à retourner dans sa cuisine (si ce n'est pire). Le 13 novembre, un hashtag inspiré d'une pancarte de manifestant invitait sur Twitter les internautes à #RapeMelania (violer Melania Trump, la femme du futur Président américain).

DC Trump Protestor "Rape Melania" pic.twitter.com/ZFmjbEiOHl

— Beck (@thereal_beck) 13 novembre 2016

Il y a quelques temps, c'est Marion Cotillard qui avait eu droit à son "slut-shaming", après une rumeur sur sa liaison avec Brad Pitt. Mais la liste est longue, surtout quand on y ajoute les femmes et jeunes filles anonymes qui subissent du harcèlement en ligne de la part d'inconnus, de collègues ou de camarades de classe.

Les réseaux sociaux pour sortir de la solitude

Pourtant, les réseaux sociaux sont aussi un lieu où les femmes peuvent se réapproprier une parole trop souvent confisquée dans la vie réelle. Alors que dans la vie réelle, parler de son statut de victime pose de nombreuses questions (la peur d'être jugée, la peur de ne pas être crue sur parole, la honte, etc.), Internet peut permettre à certaines personnes d'aborder leur traumatisme avec davantage de sérénité.

Le Web est aussi un relais intéressant pour qui cherche des contacts d'associations ou des témoignages d'expériences similaires sur des forums de discussions. Tout particulièrement dans certains pays qui manquent de structures associatives dédiées à l'accueil de femmes battues, Internet est un premier espace où venir s'enquérir de conseils, adhérer à une communauté de femmes dans laquelle trouver du soutien ou encore être mis en relation avec des professionnels de santé. 

En Inde par exemple, où les femmes peuvent être tuées, violées, brûlées à l'acide parfois sans raison, de nombreuses initiatives numériques ont vu le jour. Snap Counsellors, par exemple, est un compte Snapchat qui propose d'échanger entre adolescentes victimes de violences. Elles peuvent envoyer des snaps au compte de l'association, et cette dernière publie des Stories avec des conseils et mots d'encouragement pour toutes ses abonnées.

"Nous avons réalisé que l'intimité et le secret étaient essentiels pour celles qui subissent une relation abusive", raconte Nida Sheriff, une co-fondatrice, à Mashable. D'où le fait de proposer un tel service sur une plateforme où les messages, photos et vidéos s'autodétruisent automatiquement.

C'est sur Snapchat aussi que le Hindustan Times, un journal indien, a lancé une campagne contre le viol. Sur la plateforme de partage de vidéos éphémères, les femmes peuvent témoigner sur Snapchat en utilisant les filtres proposés par l'appli pour garantir leur anonymat, et éviter ainsi des risques de représailles.

Mais en France aussi, où les antennes d'associations ne manquent pourtant pas, la parole n'est pas totalement libre et la peur d'être décriée peut dissuader de témoigner. Brisons Le Silence est une page Facebook qui propose à des femmes de raconter, anonymement ou non, les violences conjugales qu'elles ont subies. Similaires aux pages qui recensent les propos sexistes entendus dans l'espace public, au travail, et jusque dans les couloirs de l'Assemblée nationale, ces initiatives permettent aux victimes de s'exprimer, mais aussi à tous les internautes de réaliser que les violences faites aux femmes ne sont pas seulement des faits divers mais bien un sujet de société. Certaines femmes racontent d'ailleurs que c'est en lisant les témoignages d'autres femmes qu'elles ont compris que leur expérience personnelle était loin d'être isolée.

Partage et soutien sans barrières

C'est ce qui ressort sur toutes les plateformes, et quelque soit l'initiative : les victimes se soutiennent, s'écoutent et se conseillent. Même lorsqu'une femme décide de témoigner seule, de son propre chef et non à travers une initiative existante, elle génère systématiquement un mouvement de soutien et d'empathie.

Ainsi, le 6 juillet 2015, l'Irlandaise Emma Murphy publie sur sa page Facebook une vidéo, dans laquelle on la voit avec un œil au beurre noir. Elle y explique qu'elle a décidé de quitter son compagnon violent.

Elle conclut : "Si une femme a l'impression qu'elle ne peut pas se défaire d'une relation, qu'elle ne peut pas tourner les talons, si c'est une relation dangereuse alors il faut partir. Si votre compagnon lève la main sur vous, il faut partir. Car si c'est arrivé une fois, cela arrivera encore."

Visionnée 10 millions de fois et "likée" 233 000 fois, cette vidéo a fait le buzz. Dans les commentaires, des messages de soutien, mais aussi de femmes venant annoncer "j'ai vécu la même chose" ou "j'ai enfin réussi à le quitter". Comme souvent, un espace de parole propice et un premier témoignage en provoquent d'autres, et libèrent les victimes du poids du secret.

Interrogée par Mashable FR, la blogueuse ougandaise Lindsey Kukunda, à l'origine du site Not Your Body, confirme : "En s'exprimant sur les réseaux sociaux, on sort du stigmate du silence, et on montre que le fait de s'exprimer n'est pas indigne. Cela montre une grande force, une capacité de résilience, cela donne confiance en soi. Une femme qui ose dire les choses publiquement s'habitue à le faire dans tous les aspects de sa vie."

En France, si vous êtes victime ou témoin d'une violence faite à l'encontre d'une femme, vous pouvez appeler le 39 19.

– Article rédigé avec Émilie Laystary.

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