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Un an après l’assaut de Saint-Denis, des incertitudes subsistent

Le 18 novembre 2015, les policiers du Raid ont mené une opération d'envergure dans un appartement de Saint-Denis, tuant trois jihadistes impliqués dans les attentats du 13-novembre. Un an après, de nombreuses zones d'ombre persistent.

Il y a un an, le 18 novembre 2015, le RAID lançait l’assaut contre un appartement "conspiratif" à Saint-Denis, où était retranché Abdelhamid Abaaoud, coordinateur présumé des attentats du 13-novembre, lors duquel il a trouvé la mort, comme sa cousine Hasna Aït Boulahcen et Chakib Akrouh, un jihadiste belgo-marocain.

Une opération qualifié de réussite par le ministère de l’Intérieur, les trois terroristes ayant été neutralisés dans cet assaut particulièrement violent. Mais dès janvier 2016, Le Monde et Mediapart ont mis au jour des révélations et des faits contredisant la version initiale donnée par le Parquet de Paris. Un an après, la confusion ne s’est pas dissipée.

1 500 munitions tirées par le Raid, 11 par les jihadistes

Dès la fin de l’assaut, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a affirmé que ses troupes ont "essuyé le feu pendant de nombreuses heures". Des éléments repris ensuite par le procureur de la République, François Molins, qui évoque "des tirs très nourris et quasi ininterrompus" essuyés par les policiers. Dans Le Figaro et dans Le Parisien, Jean-Michel Fauvergue, patron du RAID raconte un premier "échange de tirs [qui] dure entre une demi-heure et trois quarts d'heure", des terroristes qui "lancent des grenades offensives" et qui tirent "des rafales de kalachnikov". Au total, les policiers du RAID ont tirés plus de 1 500 munitions lors de l’assaut, selon les relevés de la police scientifique. François Molins avait même parlé, lui, de 5 000 cartouches.

Mais après avoir fouillé ce qu’il reste de l’immeuble, la cour et les gravats, les enquêteurs recenseront en tout et pour tout un pistolet automatique Browning, des balles et trois ogives tirées au-dessus de la porte, soit un total de onze munitions pouvant être attribuées aux terroristes. Et aucune arme de guerre.

Des policiers blessés, le chien Diesel tué

Et si les trois jihadistes ont été tués lors de l’assaut, aucun n’est tombé sous les balles du RAID. Les autopsies ont révélé qu’ils étaient morts dans l’explosion d’une ceinture d’explosif actionnée par Chakib Akrouh, survenue d’après les témoins avant 5 heures du matin, ce que le rapport du patron du RAID, que Le Monde a consulté, ne précise pas. Or les policiers ont continué à tirer jusqu’à 7 h 30. Sur qui ?

Plusieurs policiers ont par ailleurs été blessés lors de cet assaut. Dans une interview au Figaro, Jean-Michel Fauvergue avait détaillé les blessures, légères, de cinq de ses hommes "touchés aux bras, aux jambes, aux mains, dans le bas du dos", sans davantage de précision. Mediapart a révélé également que plusieurs boucliers utilisés par le RAID portaient des traces d’impact sur leur face arrière, accréditant la thèse que, dans la confusion, les policiers aient pu tirer sur leurs collègues.

Pourtant une victime est bien à déplorer du côté des forces de l’ordre : le berger malinois Diesel, premier chien du RAID à mourir en service. Selon les premières déclarations du patron du RAID, il aurait été touché dans l’appartement par une cartouche de chasse et "a sans doute sauvé la vie de policiers qui s'apprêtaient à entrer". Or, aucun fusil de chasse n’a été retrouvé avec les terroristes. En revanche, c’est une arme que le RAID peut utiliser. Et aucune autopsie n’a été réalisée sur le chien.

Les chiens d'assaut et de recherche d'explosifs: indispensables dans les missions des opérateurs du #RAID pic.twitter.com/vb5lGjnwjO

— Police Nationale (@PNationale) 18 Novembre 2015

Un "succès" obtenu dans une grande confusion

La confusion qui a régné lors de l’assaut peut sûrement s’expliquer en partie par la fébrilité des hommes envoyés sur place, cinq jours après les attentats qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis. Les policiers d’élite ne savaient pas à quoi s’attendre dans cet immeuble, et pouvaient redouter de tomber dans un piège. Une fébrilité dont ont également témoigné trois occupants de l’édifice, blessés lors de l’opération.

En arrivant devant l’appartement, le RAID pensait d’ailleurs avoir à faire à une porte blindée, et a donc placé des explosifs pour la faire sauter. Information répétée là encore par le procureur Molins après l’opération. Or, il s’est avéré que la porte n'était pas blindée, et de surcroît, l’effet de souffle n’a eu aucun effet sur le bois. La porte ne s’est pas ouverte. Mediapart avance alors une conclusion : "le plan imaginé par les stratèges du groupe tombe à l’eau. Les policiers doivent improviser. Alors ils tirent. Ils tirent pour saturer l’espace. Ils tirent pour ne pas laisser respirer les terroristes et leur donner l’occasion de réaliser leurs desseins suicidaires. Ils tirent pour se rassurer."

Le rapport de Jean-Michel Fauvergue, révélé par Le Monde, élude les questions qui fâchent et ne donne aucune explication sur les conditions de neutralisation des terroristes, sur l’heure à laquelle le kamikaze s’est fait sauter ou sur la mort de Diesel. Et un an plus tard, aucune nouvelle explication n’a été donnée, ni par la police, ni par le Parquet, ni par le ministère de l’Intérieur. Car si la conclusion de l’opération, la mort des terroristes, peut être qualifiée de succès, les conditions dans lesquelles elle s’est déroulée restent toujours très confuses.