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"Lafarge se serait approvisionné auprès de l'EI", accuse l'ONG Sherpa

L’ONG de défense des droits de l’Homme Sherpa accuse le cimentier Lafarge de "financement du terrorisme" en Syrie. Le Monde et France 24 avaient révélé de possibles arrangements avec l'organisation État islamique (EI) dans le pays.

Après les enquêtes parues dans Le Monde puis sur France 24, pointant les relations troubles que le cimentier Lafarge a entretenu avec l’organisation État islamique en Syrie, l’ONG Sherpa a engagé une action judicaire contre le cimentier, pour les conditions d'activité, en 2013 et 2014, de la cimenterie Lafarge de Jalabiya.

La plainte a été déposée auprès du doyen des juges d'instruction de Paris notamment pour "financement du terrorisme", "complicité de crimes contre l'humanité", "complicité de crimes de guerre" et "mise en danger délibérée d'autrui". Explications avec Laetitia Liebert, avocate et directrice de l’association.

France 24 : Qu’est-ce qui vous a poussé à porter plainte contre le cimentier Lafarge ?

Laetitia Liebert : On a pris des contacts sur place en Syrie après la publication de l’article paru dans Le Monde en juin dernier [France 24 a également enquêté sur ce dossier, NDLR]. Nous avons recueilli de la documentation et des témoignages. Selon nos sources, ces éléments semblent montrer que l’usine Lafarge, la seule à être restée en Syrie jusqu’en 2014, a continué ses activités et se serait approvisionnée en pétrole et en roche auprès de l’organisation État islamique. C'est pour cela que nous déposons une plainte pour "financement de terrorisme".

Les multinationales ont quitté la Syrie entre 2012 et 2013. À partir de 2013, l’organisation État islamique a fait une importante incursion en Syrie, où le groupe terroriste a même pris la ville de Manbij, à une heure de l’usine. C’est pourquoi nous portons également plainte pour mise en danger délibérée d’autrui car il semblerait, toujours d’après les témoignages que nous avons pu recueillir, que les employés syriens, les seuls à être restés, aient été soumis à des pressions et des menaces de licenciement de leur management pour qu’ils continuent à se rendre sur leur lieu de travail. Il y aurait aussi eu des enlèvements de salariés syriens de Lafarge entre 2012 et 2014.

Nous avons mené par le passé d’autres batailles judiciaires, mais cette plainte-ci s’appuie sur des fondements plus graves encore que les précédentes.

Quelles sont les actions judiciaires que vous avez menées contre d’autres groupes ?

Sherpa a mené pas mal d’actions judicaires dont, par exemple, l’affaire des biens mal acquis (une plainte a été déposée en 2007 mettant en cause Omar Bongo, président du Gabon, Denis Sassou Nguesso, président du Congo, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, président de la Guinée équatoriale, pour détournement de fonds publics et abus de biens sociaux, NDLR)

Nous avons également mené une action contre le groupe Auchan après l’effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh, qui avait fait 1 135 morts, pour la plupart ouvriers textiles, et plus de 2 000 blessés (ce drame avait mis en lumière les conditions de sécurité déplorables dans les ateliers textile du pays, NDLR). Nous estimions en effet que le groupe n’assurait pas les conditions de sécurité nécessaires à ses sous-traitants. Nous avions alors déposé une plainte pour pratiques commerciales trompeuses, car, selon nous, les déclarations éthiques du groupe allaient à l’encontre de la manière dont il travaille avec ses sous-traitants.

Nous avons fait la même chose avec Samsung, pour pointer du doigt des conditions de travail indignes, dont l’exploitation d’enfants.

Quels sont les objectifs poursuivis par Sherpa ?

L’association Sherpa est une association d’avocats et de juristes qui œuvre pour faire respecter les droits de l’Homme, pour les remettre au cœur de la mondialisation. Nous essayons de faire adopter des législations qui s’adaptent à la mondialisation et au fonctionnement des multinationales. Dans ce cadre, nous menons également des actions judicaires stratégiques pour pousser ces législations.

Pour donner un exemple, le 29 novembre prochain, on aimerait que soit voté à l’Assemblée nationale le "devoir de vigilance". Cette loi française obligerait à remettre les droits de l’Homme au cœur de la mondialisation, elle a pour but de responsabiliser les maisons-mères par rapport aux activités de leur entreprise à l’étranger, via les filiales ou sous-traitants. C’est une loi sur laquelle nous travaillons depuis 10 ans, avec d’autres associations.

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