Spécialiste des États-Unis et maître de conférences à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, Jean-Éric Branaa juge très sévèrement la campagne électorale qui s’achève mardi, durant laquelle il n’a jamais été question de politique.
Les Américains sont appelés aux urnes, mardi 8 novembre, pour choisir qui sera, du républicain Donald Trump ou de la démocrate Hillary Clinton, leur prochain président. Le scrutin s’annonce particulièrement serré. Une surprise quand on se souvient des commentaires lors de l’entrée en campagne du magnat de l’immobilier, dont la candidature n’était pas du tout prise au sérieux, aussi bien par les médias que par ses adversaires.
Depuis ses premières sorties sur les immigrés mexicains, accusés d’être des voleurs et des violeurs, Donald Trump n’a cessé de choquer avec des déclarations – sur la Syrie, les Noirs, les musulmans, etc. – tout plus provocantes les unes que les autres. Mais plutôt que de le desservir, ses propos l’ont porté tout au long de la campagne, à tel point qu'il est aujourd’hui en position de devenir le 45e président des États-Unis. Pour Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis et maître de conférences à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, cette campagne est le signe d’une "Amérique malade".
Les Américains votent aujourd’hui pour élire leur prochain président. Comment décririez-vous la campagne qui s’achève aux États-Unis ?
D’habitude, lorsqu’une campagne électorale s’achève, les consultants politiques ont un petit pincement au cœur, mais ce n’est pas le cas cette année. La campagne a été affreuse et c’est un soulagement qu’elle s’arrête enfin. Il n’a jamais été question des programmes, il n’a jamais été question de politique. Et c’est tout de même problématique que les gens ne connaissent pas les propositions de Donald Trump et Hillary Clinton. Les seules choses que les Américains ont retenu, c’est que le premier veut construire un mur à la frontière mexicaine et que la seconde a eu un problème avec ses emails. Au lieu de se jouer sur des propositions, l’élection sera un référendum personnel sur Clinton et Trump. Ou plutôt, un vote contre Clinton ou Trump. Dans la dégradation de la chose politique, on est vraiment au bout du bout. Vivement la prochaine élection.
Cette campagne ne s’inscrit-elle pas dans une tendance historique, où la personnalité du candidat prime sur les propositions ?
Je ne crois pas. Bien sûr, la personnalité est toujours mise en avant, c’est une part importante des campagnes américaines, mais les propositions politiques ne sont pas oubliées. Barack Obama a fait campagne en 2008 sur un changement de société, sur une Amérique post-raciale et sur la réforme de l’assurance-maladie notamment. Avant lui, George W. Bush menait aussi une campagne politique avec des propositions liées à la question terroriste. On se souvient également de Bill Clinton et de la célèbre réplique "It’s the economy, stupid !", preuve que les questions économiques étaient au cœur des débats avec George Bush père. Donc on a toujours parlé des programmes par le passé. Cette fois-ci, ce n’est pas le cas.
La faute à Donald Trump, qui a fait parler de lui en insultant presque tout le monde ?
Non, Donald Trump n’est qu’un symptôme d’une Amérique qui était déjà malade avant l’annonce de sa candidature. Les classes moyennes ont pris de plein fouet la crise de 2007. L’Amérique rurale a très peur face à la disparition des anciens métiers. Les gens entendent que la croissance est repartie, mais quand ils regardent leur feuille de paie, ils n’en voient pas la couleur. Tout cela a créé de la colère, avec un rejet de Barack Obama et du Congrès, le président et les parlementaires étant accusés de ne rien faire. Donald Trump ne s’est contenté que de souffler sur les braises. C’est le type qui ressort toutes les idées qu’il a entendues au café en criant plus fort que les autres. Il n’a presque rien dit de nouveau, tout avait déjà été entendu. Mais lui les a répétées et son charisme a fait le reste, mettant fin au politiquement correct décrié par bon nombre d’Américains.
Hillary Clinton a-t-elle essayé de relever le niveau ?
Il y a deux phases dans sa campagne. Une première phase durant laquelle elle a essayé de mettre en place son discours politique, ses propositions. Mais face à Trump, elle s’est heurtée aux mêmes problèmes que les candidats de la primaire républicaine. Les gens n’écoutent pas, ou plus, car Donald Trump a tout placé sur le personnel. Hillary Clinton a donc adapté sa stratégie en transformant l’élection en un référendum sur la personnalité de son adversaire, en insistant sur son côté mufle et imprévisible.
Les médias américains ont-ils eux aussi leur part de responsabilité ?
Ils se sont fait manipuler comme tout le monde. Lors des premiers dérapages de Donald Trump contre les immigrés mexicains à l’été 2015, les médias ont préféré rire de ce candidat inhabituel et, au lieu de dire qu’il s’agissait de commentaires racistes, lui ont collé une image de clown. Or, un clown fait rire et devient sympathique par la même occasion. Du coup, au lieu de le fuir, les gens s’y sont intéressés. Deuxième erreur, liée à la première : pendant longtemps, les médias, comme ses concurrents, ont pensé que Trump n’était qu’un phénomène qui finirait par se dégonfler, et ce n’est que très tardivement qu’ils ont fini par prendre conscience qu’il pouvait réellement gagner. Ce front du refus de la réalité n’a pas rendu service à la campagne.