Des centaines de policiers ont manifesté mercredi dans de nombreuses villes de France avant la rencontre entre les syndicats et François Hollande. Reportage à Paris où le mouvement était scindé en deux rassemblements.
"Citoyens avec nous ! Citoyens avec nous !" Il est 13 heures, mercredi 26 octobre, lorsque la centaine de policiers réunis sur la place de la République, à Paris, se met en branle. Le rassemblement doit rejoindre, à plusieurs centaines de mètres de là, l’hôpital Saint-Louis où est soigné un adjoint de sécurité grièvement touché lors de l’attaque du 8 octobre à Viry-Châtillon, dans l’Essonne. Au passage du cortège, passants, commerçants et curieux semblent comme amusés d’assister à une manifestation de policiers. Surtout en cette endroit de la capitale où les forces de l’ordre sont davantage mobilisés pour encadrer les rassemblements que pour les organiser.
Thierry et Mauricette, eux, ne plaisantent pas du tout. Ce couple de "citoyens français", comme il se définit, est venu de l’Essonne, en région parisienne, pour soutenir le mouvement. "Il faut que les policiers soient respectés, il faut les soutenir car on est bien contents qu’ils débarquent quand on a un problème", lance Thierry, un badge "Touche pas à mon flic" épinglé à la veste. "Il y a aujourd’hui une haine des policiers et ce n’est pas normal", abonde son épouse.
"Arrêtons de vivre dans un monde de Bisounours !"
Des "civils" mobilisés comme Thierry et Mauricette, il y en a peu parmi les manifestants. Cette "marche de la colère policière et citoyenne" a pour but, pourtant, de sensibiliser l’opinion publique à la grogne qui agite la police depuis 10 jours. "Les policiers ne sont pas considérés alors qu’ils sont là pour protéger le citoyen et ils le font avec cœur, assure William, 48 ans dont 20 passés dans les rangs de la police judiciaire. Nous aimons notre métier et il faut arrêter de nous cracher dessus avec des mesurettes."
De fait, ce que dénoncent les manifestants, c’est davantage le manque de considération du gouvernement que celui de la population. Principal objet de leur courroux : le peu de moyens financiers et humains accordés à la profession. "Il faut que les pouvoirs publics nous donnent les moyens d’agir et arrêtent de vivre dans un monde de Bisounours !", tonne Jérôme, policier de 32 ans basé à Créteil, dans le Val-de-Marne. On en a marre des véhicules qui affichent 200 000 km au compteur, marre des gilets par balles qui ont plus de dix ans et des ordinateurs qui ne fonctionnent pas."
Des syndicats qui peinent à se raccrocher aux wagons
Les récriminations policières ne sont toutefois pas uniquement dirigées vers le ministère de l’Intérieur. À la Justice, les policiers réclament des peines plus sévères et la révision des règles de la légitime défense. "On voudrait pouvoir intervenir dans les cités sans qu’on nous en empêche. On interpelle 30 à 40 fois la même personne sans qu’il y ait de réponse judiciaire. Il faut que la justice arrête de libérer les auteurs de délits. Nous sommes dans une société où on a plus de compassion pour les délinquants que pour les victimes.On sait qu’on a toujours le mauvais rôle, mais nous sommes comme des enseignants qui réprimandent un élève qui a fait une faute, on ne mérite pas d’être brûlé vifs dans des voitures", poursuit Jérôme, en référence à l’attaque de Viry-Châtillon durant laquelle le véhicule de quatre policiers a été incendié par des jets de cocktails Molotov.
C’est cette charge qui est à l’origine du mouvement de colère spontané qui agite depuis 10 jours la police, hors de tout mot d’ordre syndical. Débordés par leurs bases, les syndicats peinent aujourd’hui à se raccrocher aux wagons. Mardi, l’initiative de l'intersyndicale (Alliance, Synergie Officiers, Unsa, SCPN, SICP) appelant à des rassemblements silencieux devant les palais de justice de France a connu un succès relatif. À l’origine de cette "marche policière et citoyenne" de mercredi, le syndicat Unité SGP police-FO a, quant à lui, pris soin de ne dérouler aucune bannière durant le défilé.
Désireux de conserver leur indépendance, les initiateurs du mouvement originel ont préféré, mercredi, tenir leur propre rassemblement devant l’Assemblée nationale. Alors que certains de leurs collègues défilent dans le Xe arrondissement, eux sont rassemblés sur le pont de la Concorde. "On ne serait pas là aujourd’hui à manifester si les syndicats s’étaient battus", affirme Karine, qui en 24 ans de carrière n’avait encore jamais battu le pavé. "Ils n’étaient pas là au début quand on essayait de défendre nos intérêts. Au contraire, ils ont essayé de décrédibiliser notre mouvement", constate Yann, policier d’une Brigade anti-criminalité (BAC) de l’Essonne.
"Nous ne nous cachons pas sous des cagoules"
Les revendications, pourtant, sont les mêmes : augmentation des effectifs, amélioration des conditions de travail, mise en place des peines planchers pour les agresseurs… Après avoir mené des opérations nocturnes, les "autonomes" ont décidé de manifester pour la première fois en journée. "Les députés ne travaillent pas de nuit, justifie Yann. Nous avons la volonté de discuter avec les parlementaires et de montrer aussi que ce sont des personnes, des humains qui sont derrière ce mouvement. Contrairement à ce qui a été dit, nous ne nous cachons pas sous des capuches ou des cagoules."
Un appel du pied auxquels plusieurs députés et sénateurs ont répondu. Se défendant de toute récupération politique, Laure de la Raudière, députée Les Républicains (LR, droite) d’Eure-et-Loir, affirme avoir rejoint le rassemblement pour apporter "un soutien dont la police a besoin". "Pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, mon parti a fait l’erreur de réduire les budgets au sein de la fonction publique, mais la police, l’armée et la justice aurait dû être épargnée", assure l’élue, par ailleurs porte-parole de Bruno Le Maire, candidat à la primaire de la droite. Plus loin, Karim Ouchikh, président de Souveraineté, identité et libertés (Siel), un mouvement proche du Front national, affirme s’être déplacé en tant que citoyen.
Plutôt que de voir des responsables politiques, les 600 policiers réunis sur le pont de la Concorde préférent se réjouir de la venue de quelques "civils" arborant des messages d’amour pour la police. Tous mettent en avant le récent sondage Ifop qui révèle que 91 % des Français estiment leur mouvement "justifié". "On sent que la population est de notre côté, observe Karine. Mais de là à ce que les gens descendent en masse dans la rue pour défendre nos intérêts…"
En soirée, alors que les syndicats venaient d'être reçus par le président François Hollande à l'Élysée, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a dévoilé un "plan de sécurité publique" visant à dissiper l'exaspération des policiers. Parmi les mesures annoncées figurent un réexamen des conditions de la légitime défense, un allègement des tâches dites "indues" ainsi qu’une enveloppe de 250 millions d'euros pour moderniser l'équipement. Les syndicats ont salué des annonces "importantes". Reste à savoir si elles contenteront la base.