
La Russie a annoncé qu'elle prolongeait son cessez-le-feu à Alep-Est jusqu'à samedi soir. Cet arrêt des combats s'inscrit, selon certains experts, dans une stratégie militaire visant à faciliter l'évacuation des civils pour mieux pilonner la ville.
Les habitants d’Alep-Est, assiégés et pilonnés sans relâche par le régime syrien et son allié russe, devraient pouvoir avoir un infime répit jusque samedi soir. Un haut responsable de l’état-major russe a confirmé, vendredi 21 octobre, la décision de "prolonger la pause humanitaire dans la région d'Alep de 24 heures".
Ce calme relatif n’a cependant pas incité les habitants d’Alep-Est à emprunter les couloirs humanitaires mis en place pour évacuer les civils et les rebelles. Selon l’envoyé spécial du Monde à la frontière turco-syrienne, Benjamin Barthes, la trêve décrétée par Moscou est perçue sur place comme un moyen de "jouer avec les nerfs de la population" et de monter les civils contre les combattants rebelles.
Moscou reste en effet plus que jamais décidé à soutenir le régime du président syrien Bachar al-Assad dans sa détermination à écraser les insurgés opérant dans la partie est de la deuxième ville du pays. Présenté par le Kremlin comme un "pur geste de bonne volonté des militaires russes", le décret de la trêve ne répond à aucun souci humanitaire, jugent certains analystes comme Pierre Burgat, politologue interviewé par l'Obs. Elle s'inscrit en revanche dans une stratégie militaire visant à faciliter l'évacuation des civils de la ville pour reprendre ensuite les bombardements plus intensivement.
Dans la cour des grands
Après des entretiens à Berlin mercredi avec les dirigeants français et allemand, Vladimir Poutine s'était montré favorable au prolongement "autant que possible" de l'arrêt des frappes aériennes. Une déclaration qui pouvait laisser penser que le président russe n'avait pas été insensible aux critiques virulentes émises par la communauté internationale, qui dénonçait les "crimes de guerre" constitués par les bombardements d'une extrême violence, contre des infrastructures civiles, notamment des hôpitaux.
Pour Alexey Venediktov, rédacteur en chef de la radio l’Écho de Moscou, le président Poutine n'est pourtant pas prêt à lâcher la carte du conflit en Syrie qu'il utilise dans le cadre d’un bras de fer mondial avec les puissances occidentales, États-Unis en tête. "Le plus important pour Poutine est de revenir dans le club des Grands", affirme-t-il.
Ainsi, les combattants jihadistes – qui ne représentent qu’une partie de la rébellion syrienne à Alep – sont-ils utilisés par Moscou comme un épouvantail susceptible d’accentuer les tensions, au sein des pays occidentaux, entre les responsables privilégiant la chute du régime de Bachar al-Assad, et ceux qui estiment qu’il faut soutenir la Russie dans sa croisade contre l’islamisme radical.
Cette guerre contre le terrorisme islamiste proclamée par Moscou aurait donc comme objectif de briser, selon Venediktov ce qu'il décrit comme "l’union sacrée" entre les États-Unis et l'Union européenne. "On voit que toutes les déclarations et les actions du Kremlin visent à diviser les États-Unis et l’Union européenne. C’est ce qui avait été fait pendant la guerre d’Irak en 2003, quand Chirac et Schröder s’étaient opposés à George W. Bush avec le soutien de la Russie", estime le rédacteur en chef de l’Écho de Moscou.
Vendredi, ce sont même les 28 pays de l’Union européenne (UE) qui n'ont pas réussi à s'accorder sur une position commune et se sont ainsi contentés de dénoncer les "atrocités" commises à Alep. La mention de possibles sanctions à l’égard des "soutiens" de Damas, qui apparaissaient noir sur blanc dans le projet de communiqué initial selon l’AFP, ne figure plus dans le texte final.
Des préoccupations sécuritaires domestiques
Ces considérations politiques n’enlèvent rien aux préoccupations sécuritaires domestiques du Kremlin, qui préfèrerait se débarrasser des 3 000 jihadistes estimés de nationalité russe en Syrie plutôt que de les retrouver sur son territoire national.
La Russie souhaite en outre conserver ses bases militaires en Syrie, et notamment celle de Tartous qui permet à Moscou d’entretenir une présence navale en Méditerranée orientale. Ces bases sont l'un des symboles de cette puissance restaurée à laquelle œuvre Poutine mais qui pourrait aussi le conduire vers un engagement inextricable.
"La Syrie est pour la Russie comme le Vietnam pour les États-Unis dans les années 60. On est venu suite à la demande d’un gouvernement, on a commencé par les bombardements, et nous avons des bases militaires sur place", avance Venediktov.
Le meilleur moyen d’éviter l’enlisement, selon le spécialiste du pouvoir russe, serait que Poutine se résolve à sceller une alliance avec les pays occidentaux afin de cogérer cette région turbulente. Une solution qui échoppe pourtant encore et toujours sur le sort d’un homme, Bachar al-Assad.