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Bangladesh : "Plutôt mourir que de me laisser marier à 14 ans"

Activiste bangladaise de 21 ans, Radha Rani Sarker est venue en Europe à l'occasion de la Journée internationale des filles, le 11 octobre, convaincre Paris et Bruxelles de soutenir son combat contre le mariage des mineures dans son pays.

Si elle avait suivi le chemin auquel les siens la prédestinaient, Radha Rani Sarker serait mariée depuis ses 14 ans et probablement, à 21 ans, mère d'une tribu d'enfants qu'elle n'aurait pas choisie d'avoir. Mais cette Bangladaise ne suit que la voie qu'elle s'est elle-même tracée. Elle a envoyé valser tradition et religion ; elle est restée hermétique à la pression sociale et familiale et s'est engagée dans un combat loin d'être gagné d'avance dans son pays : mettre fin au mariage des enfants, et plus particulièrement à celui des petites filles, qui y perdent leur santé, leur avenir, leur liberté.

Aujourd'hui, Radha Rani Sarker est devenue l'une des ambassadrices de la défense des droits des femmes et des filles au Bangladesh. Parrainée par l'ONG Plan international, elle s'est rendue en France à l'occasion de la journée internationale des filles, le 11 octobre, avant de partir à Bruxelles pour convaincre les autorités européennes de soutenir son combat. Un enjeu de taille quand on sait que le Bangladesh est l'un des pays où le mariage précoce – bien qu'illégal depuis 1929 – est le plus répandu : 73 % des filles y sont mariées avant l'âge de 18 ans et 27 % des jeunes épouses ont entre 12 et 14 ans.

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"Les filles, ça coûte cher et ça ne rapporte rien"

Dans sa région natale de Dinajpur, un district rural et reculé dans le nord-ouest du Bangladesh, la liberté est un droit qui ne va pas de soi. Les femmes doivent l'arracher à force d'audace et de désobéissance. Radha est née en 1995 dans une famille pauvre du village de Khanshama. Son père, un tresseur de bambous, a épousé sa mère, sur ordre des familles, alors que cette dernière n'avait que 12 ans. "C'est en voyant la souffrance de ma mère que j'ai décidé que je n'aurais pas la même vie", raconte Radha.

La veillée funéraire du père à peine entamée, les oncles se mettent en tête de trouver un mari à Radha. Ils veulent épargner à la famille l'humiliation d'avoir une fille pubère et non mariée à charge. "Ils ont commencé à tout planifier alors qu'on n'avait même pas fini d'organiser les funérailles de mon père ! s'exclame Radha, réveillant soudain une ancienne colère. Et moi je perdais tout : mon père, mes droits, mon avenir." La famille trouve à Radha un prétendant de dix ans son aîné et sa mère, veuve et désormais sans revenu, n'a pas la force de s'opposer à un mariage que sa cadette refuse catégoriquement.

L'impunité des mariages précoces

Radha est emmenée de force chez l'une de ses sœurs aînées et son mari. "J'aurais préféré être morte à la place de mon père. Ils m'ont enfermée dans une chambre. Je passais mes journées allongée, à pleurer. Un jour, mon beau-frère est venu ramasser le repas, je me suis enfuie. J'ai sauté dans un bus et je suis rentrée chez ma mère", raconte la jeune femme. Les claques de sa sœur ne la feront pas revenir. L'adolescente s'entête et arrive à s'assurer le soutien d'un "cousin éduqué" et de sa mère. "Ils ont fini par me laisser tranquille !" s'enorgueillit Radha. Le premier acte de rébellion d'une longue série.

Radha reprend alors ses études, financées par des prêts de ses professeurs et des aides humanitaires. Aujourd'hui, elle étudie les sciences sociales à l'université régionale de Dinajpur, tout en poursuivant son combat contre le mariage précoce. Elle est ce que l'on appelle une "wedding buster", une casseuse de mariage. À force de travail de persuasion auprès des familles, elle a réussi à sauver plus de 20 jeunes femmes d'une union non désirée. Elle projette aussi de mettre en place un centre d'accueil où les filles pourraient se réfugier jusqu'à leur majorité. "La situation s'est un peu améliorée ces dernières années mais le mariage précoce bénéficie toujours de l'impunité. Des parents continuent de marier leurs enfants, quitte à le faire de nuit, alors que c'est illégal", explique Radha. Et pourquoi mettre un frein à la coutume : en 2015, la Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, a proposé d'abaisser l'âge minimum du mariage pour les filles à 16 ans. 

Quant au mariage, une obligation sociale au Bangladesh où 90 % des adultes sont mariés, Radha y pense… quand elle a le temps. Elle a déjà refusé sept propositions. "Me marier ? Pourquoi pas, mais ce n'est pas un but en soi dans la vie ! J'attends de rencontrer un homme qui comprendra qui je suis et ne mettra aucune barrière sur mon chemin", affirme-t-elle dans un éclat de rire. Radha n'est pas de celles que l'on peut mettre en cage. Elle croque dans une datte et s'échappe de la salle. Finalement revient et entonne un chant langoureux en bengali qui pourrait faire croire, à l'oreille profane, à une chanson d'amour. La traductrice nous détrompe : il s'agit d'une diatribe dénonçant ceux qui sacrifient l'avenir de leurs filles sur l'autel des traditions. Derrière les notes suaves, il y a des flèches ; et derrière la nonchalante séductrice, une guerrière qui espère devenir un modèle pour une génération de femmes qui a tout à y gagner.