Considérée comme "immorale" après avoir tourné dans un clip où elle enlace un chanteur, l'actrice nigériane Rahama Sadau a été interdite de tournage à vie dans le nord du Nigeria soumis à la charia, a annoncé l'association des cinéastes de la région.
Son crime : avoir été en contact physique avec un homme dans un clip romantique du chanteur "Classic", originaire du sud du pays. La sentence : la célèbre actrice Rahama Sadau, jugée "immorale", a été interdite de tournage à vie dans le nord du Nigeria, a expliqué début octobre Salisu Mohamed, le président de la Motion Pictures Practitioners of Nigeria (Moppan), regroupement d’association qui édicte les règles comportementales au cinéma, dans cette partie du pays soumis à la charia.
Dans le clip, intitulé "I Love You", Rahama, la star de l’industrie cinématographique du nord du Nigeria, incarne une vendeuse de fruits et légumes, dont l'artiste tombe éperdument amoureux. Rien de comparable avec les clips habituellement tournés dans le sud, où les femmes "twerkent" en bikini et prennent des douches au champagne. Mais dans "I love you", la jeune actrice concède un câlin au chanteur qui lui frôle l'épaule, lui prend la main dans un champ en fleurs, et croque dans le fruit défendu : une petite aubergine verte en vente sur son étal au marché.
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Un geste qui a valu à la jeune femme de subir les foudres de la Moppan. "Rahama ne pourra plus jamais jouer de sa vie dans un film de Kannywood [industrie cinématographique du nord du Nigeria] à cause de son comportement immoral permanent", a estimé le président de l'association des cinéastes. À la suite de cette sentence, l'actrice de 24 ans a posté sur son compte Instagram, le 5 octobre, une longue lettre d'excuse, où elle "demande pardon", tout en ajoutant : "toucher quelqu'un, dans mon travail, est inévitable".
Films puritains à l’eau de rose
Contrairement au sud du pays où l’actrice a joué exceptionnellement dans un clip, les États musulmans du nord du Nigeria imposent des règles très strictes au cinéma en vertu de la charia. Les scènes de danses sont autorisées, mais les hommes et les femmes n'ont pas le droit de se toucher, ni même de se serrer la main. De même, les tenues légères ou transparentes sont proscrites. Dans le nord, tout en respectant les codes d’un islam rigoriste, Kannywood produit plutôt "des comédies musicales inspirées des films indiens à l’eau de rose, des films gentillets et moralisateurs" indique à France 24 Pierre Barrot, auteur de "Nollywood - Le phénomène vidéo au Nigeria".
Cette industrie, basée dans la capitale nordiste de Kano, porte le nom de "Kannywood", à l’image du surnom donné à la florissante industrie cinématographique nigériane appelée "Nollywood", et dont le centre névralgique se trouve dans le sud du pays à Lagos. Le cinéma nigérian dans son ensemble représente la troisième plus grande industrie cinématographique au monde en nombre de productions, juste après Bollywood en Inde et les États-Unis.
"L’exclusion de Rahama Sadau a choqué ceux qui travaillent à Nollywood. Elle renvoie à la division du pays en de multiples États. Au sud et au nord, ce sont deux industries très différentes et presque indépendantes" explique à France 24 Serge Noukoué, fondateur du festival de cinéma Nollywoodweek, qui se tient chaque année à Paris. Il regrette que cette affaire vienne ternir l’image d’un cinéma nigérian en plein essor.
Pour le spécialiste de Nollywood, cette nouvelle affaire ne marque pas pour autant un durcissement des codes de conduite dans le cinéma de Kano : "Leurs règles ont toujours été aussi strictes et elles sont acceptées par les acteurs locaux" résume-t-il. "Les réalisateurs du Nord savent ce qu’ils peuvent faire ou pas, ils ne cherchent pas à dépasser les limites, car ils veulent plaire à un public conquis par ce genre de cinéma dans leur zone géographique d’influence". Le cinéma puritain à l’eau de rose de Kano s’exporte allégrement, notamment au Niger, au Nord-Cameroun et en Centrafrique. "Cela correspond à une aire de langue haoussa, peul et de religion musulmane, une zone où il existe des similarités culturelles", précise Pierre Barrot.
L’auto-censure pour survivre
Pour la Moppan, l’autocensure est surtout un mécanisme de protection du cinéma local. Lorsque 12 États du Nord ont instauré la charia en 1999, il avait été entendu que le cinéma dans son ensemble serait interdit.
"Mais l'industrie employait déjà des milliers de personnes", explique Carmen McCain, chercheuse américaine spécialiste du cinéma et de la musique haoussa. Après plusieurs polémiques, les associations locales ont trouvé un compromis en encadrant l'industrie et en introduisant ces règles de conduite chez les acteurs.
Les fans de Rahama Sadau
Le syndicat a durci plusieurs fois ses positions après des scandales, comme en 2007, lorsqu’une sextape de l’actrice de Kannywwod, Maryam Hiyana, a été diffusée sur Internet. Avec le cas de Rahama Sadau, il se retrouve confronté à un nouveau problème. "Habituellement les actrices du Nord ne passent pas au Sud, la langue majoritairement employée dans les films tournés à Lagos étant l’anglais et pas l'haoussa", relève Serge Noukoué.
Face au scandale, l’actrice de Kannywood dispose toutefois d’une arme non négligeable et audible pour cette industrie qui veut avant tout plaire à ses téléspectateurs : elle peut compter sur le soutien de ses fans, qui se sont fait entendre, notamment sur Twitter, en critiquant la Moppan pour sa décision jugée "trop sévère" et injuste.
Avec AFP