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"Soury", le court-métrage qui démonte les clichés sur les migrants

Dans le court-métrage "Soury", Christophe Switzer s’attaque à un sujet sensible : l’accueil des réfugiés syriens en France. Il s’attache à un vigneron au verbe haut et un migrant aux yeux bleus. Les deux hommes jouent (presque) leur propre rôle.

Au départ, il y a un vigneron. Il s’appelle Yves Morard dans l’état civil, ses proches l’appellent Bob. Un physique, une gueule et un amour du vin. Le tout jeune réalisateur, Christophe Switzer, a voulu faire de cet œnologue, qui lui a appris la vie, le centre de son troisième court-métrage*, "Soury" qui signifie Syrien en arabe. Le précédent court de Christophe Switzer, "Narvallo", avait été diffusé sur TV5 Monde et OCS.

L’idée d’un scénario émerge à l'automne 2015, alors qu'à la sortie d’un salon vinicole à Paris, où Christophe Switzer donne un coup de main à cet oncle de cœur, il assiste à une scène qui le touche profondément. Arrêté à un feu rouge, Yves Morard ouvre la fenêtre pour parler aux personnes qui font la manche, quand les Parisiens détournent le regard. Lui, Bob, parle arabe. Il a appris la langue dialectale au Liban, dans les vignes du Château Kefraya. L'arabe lui a toujours servi à désamorcer les tensions et faire tomber les a priori. Ce soir-là, quand Yves Morard descend sa vitre pour s’adresser aux personnes qui demandent de l’aide, c’est pour demander d’où elles viennent, comment elles vont, leur donner aussi un peu d’argent pour aider. On est en 2015, les réfugiés syriens arrivaient massivement en Europe. "J’entendais de loin l’actualité, mais le discours général sur les migrants ne m’allait pas. Il fallait tirer l’espoir vers le haut", explique Christophe Switzer.

Rendre l'hospitalité

L’idée du court-métrage est donc trouvée ; elle portera sur l’accueil difficile d’un migrant sur les terres du viticulteur. "Je rêvais depuis longtemps de filmer mon oncle Bob, vigneron devant l’Éternel, dans le Clos des Patris, au pied du Mont Ventoux, en Provence. Cet oncle est un personnage gargantuesque qui rentrait spécialement du Liban pendant nos vacances scolaires pour s’occuper de nous à la ferme. Il nous mettait une pioche dans les mains et nous disait : 'Allez hop, à la vigne !'"

Une fois le sujet trouvé, il a fallu engager un acteur pour jouer le réfugié. Un comédien syrien, Wassim Majeed, répond à l’annonce passée sur les sites de casting. Il a déjà une longue expérience devant la caméra : il a officié sur la télévision officielle syrienne à la tête de l’émission "Bonjour la Syrie". Lorsque son pays bascule dans la guerre civile en 2011, il trouve des opportunités de tournage de série télévisée à Dubaï, échappe ainsi à la mobilisation militaire en Syrie, mais ne peut plus rentrer. Il arrive à Paris début 2016 pour tourner un long-métrage qui tourne court, faute de financements. Wassim Majeed cherche alors à s’établir en France, mais les opportunités sont rares. "J’ai été très déçu ! Parce que je ne parle pas français, les portes sont fermées. Pourtant, en Suède ou aux Pays-Bas, on peut travailler en anglais, personne n’y voit de problème. Ici, je dois recommencer de zéro", raconte-t-il.

Wassim Majeed est choisi pour ce court-métrage, non seulement parce qu’il est syrien, excellent comédien, mais aussi "parce que physiquement, rien qu’avec ses yeux bleus, il est aux antipodes des clichés sur les Syriens", explique le réalisateur. Ce court-métrage s’applique à démonter les a priori : un vigneron français peut parler arabe. Un réfugié peut être ingénieur informaticien. Et il peut être amené à manger un sanglier au vin, ne serait-ce que "parce que la faim est athée", réplique Wassim Majeed dans le film. Enfin, la solidarité entre réfugiés ne fonctionne pas automatiquement. Le climax du court-métrage montre une famille syrienne claquer la porte au nez du réfugié qui n’avait qu’elle comme adresse.

La rudesse et la générosité du personnage d’Yves Morard portent le film vers un autre horizon que celui d’un film pavé de bonnes intentions sur les migrants. D’ailleurs, quand, quelques jours après la projection privée du film à Paris, Wassim Majeed a repris le train pour Avignon, Bob l’attendait à la gare. L’amitié entre les deux hommes s’est nouée au-delà du film. Wassim Majeed va rester dans le domaine "jusqu’à ce qu’il me mette à la porte !", plaisante le comédien. Yves Morard, lui, a le sentiment "de rendre toute l’hospitalité qu’il a reçue au Liban". Le Moyen-Orient, une région où le vigneron rêve de retourner. Ne serait-ce que pour se remettre à l’arabe.