
Le président américain Barack Obama avait apposé son veto à une loi autorisant les proches des victimes des attentats du 11-Septembre à poursuivre l’Arabie saoudite devant la justice. Les deux chambres du Congrès ont décidé de passer outre.
C’est un camouflet sans précédent pour Barack Obama. Pour la première fois depuis le début de sa présidence, le chef de l’État américain a vu son veto être écarté par le Sénat et la Chambre des représentants, mercredi 28 septembre. Le sujet est épineux : la loi doit autoriser les proches des victimes du 11-Septembre à poursuivre l’Arabie saoudite pour sa supposée implication dans la préparation des attentats.
Cette loi, baptisée "Justice against sponsors of terrorism act" (Jasta, ou loi pour une justice contre les soutiens du terrorisme) a d’abord été votée deux jours avant les cérémonies marquant le 15e anniversaire de l’attaque qui a tué près de 3 000 personnes à New York, Washington et en Pennsylvanie, le 11 septembre 2001. Ce texte permettrait aux citoyens américains de poursuivre des gouvernements étrangers en justice si ceux-ci ont appuyé des attaques qui ont tué des Américains sur le territoire des États-Unis.
Les 28 pages d’enquête classée
Pour comprendre le débat qui agite la classe politique américaine et fâche Riyad, il faut revenir à l’enquête, menée par une commission du Congrès en 2002, qui cherche à établir les personnes, les organisations, voire les États qui ont été derrière les attentats du 11-Septembre. Si l’Iran et l’Irak ont été vite écartés, les soupçons pesant sur l’Arabie saoudite, découlant du fait que 15 des 19 hommes qui ont été identifiés comme responsables des attaques étaient Saoudiens, sont devenus tabous. Le rapport de 838 pages de la Commission sur le renseignement est partiellement rendu public, mais 28 pages sont restées secrètes, classifiées par l’administration Bush. Le 15 juillet 2016, l’administration Obama les a rendues publiques, pour couper court aux rumeurs.
On peut lire dans ces fameuses 28 pages : "Alors qu’ils se trouvaient aux États-Unis, quelques-uns des pirates de l’air du 11-Septembre ont été en contact, ou ont reçu soutien ou assistance d’individus qui pourraient être en lien avec le gouvernement saoudien", et le rapport précise que les membres de la Commission sur le renseignement n’ont pas pu "identifier de manière définitive" ces liens.
Mais les langues se délient, et l’ancien sénateur de Floride, Bob Graham, qui était le vice-président de la commission, a admis sur la chaîne américaine CBS que les auteurs du 11-Septembre bénéficiaient de "soutien logistique aux États-Unis". Un soutien d’origine saoudienne ? "Pour l’essentiel", reconnaît Bob Graham. Et lorsque le journaliste insiste : "Vous voulez dire des officiels, des gens riches, des fondations en Arabe saoudite ?", l’ancien sénateur répond : "Tout ça à la fois."
Les conséquences de la loi
La raison pour laquelle Barack Obama s’ést opposé à cette loi ? C’est parce qu’elle "aurait un impact néfaste sur la sécurité nationale des États-Unis". La Maison Blanche estime que le texte affaiblirait le principe d'immunité qui protège les États (et leurs diplomates) de poursuites judiciaires et risquait, par un effet boomerang, d’exposer les États-Unis à des poursuites devant divers tribunaux à travers le monde. Le directeur de la CIA John Brennan a aussi fait part de sa forte opposition au texte : celui-ci "aura de graves implications sur la sécurité nationale des États-Unis", et aura des conséquences pour "les employés du gouvernement qui travaillent à l'étranger pour leur pays".
De son côté, l’Arabie saoudite émet des menaces de représailles si la loi venait à entrer en application. Mi-avril, le New York Times titrait sur les graves conséquences économiques promises par Riyad.
Cette loi s’inscrit dans un contexte de relations diplomatiques américano-saoudiennes nettement rafraîchies, après des décennies d’alliance sans faille. Le rapprochement de Washington avec l'Iran en effet a crispé Riyad. Les défenseurs du Jasta, pour qui le droit des victimes des attentats du 11-Septembre de réclamer justice est inaliénable, estiment que l'opposition de l'administration Obama est d’ailleurs avant tout liée à la crainte de froisser durablement l’Arabie saoudite.