
à Pale et Sarajevo (Bosnie-Hérzégovine) – Les Serbes de Bosnie se sont prononcés pour le maintien de leur "fête nationale" le 9 janvier, une date controversée. Le référendum, non reconnu par Sarajevo, exacerbe les divisions entre les communautés à quelques jours des élections.
Dès l’entrée du bar, une affiche, fabriquée par les soins du tenancier, donne le ton : "Le 25 septembre, participons tous au référendum. Vive la République serbe".
Derrière le comptoir de son minuscule établissement tapissé de drapeaux serbes, Aleksandar se félicite d’avoir été l’un des premiers à Pale, ancienne station de ski et capitale autoproclamée des Serbes de Bosnie entre 1992 et 1995, à glisser un bulletin dans l’urne.Comme ce grand quadragénaire barbu, un demi-million d’habitants de la République serbe, l’une des deux entités qui composent la Bosnie-Herzégovine, se sont déplacés pour voter en faveur du maintien du 9 janvier comme "fête nationale".
Sarajevo et la communauté internationale, à l’exception de la Russie, s’opposent à ce référendum. La Cour constitutionnelle a déclaré anticonstitutionnel le choix du 9 janvier en raison de son caractère discriminatoire pour la population non-serbe de l’entité. Cette date coïncide en effet avec celle de la proclamation de la "République du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine" le 9 janvier 1992. La guerre qui avait suivi avait fait 100 000 morts et 2 millions de déplacés, soit la moitié de la population bosnienne.
Le référendum comme prélude d’une déclaration d’indépendance
Dans la café d’Aleksandar, la Cour constitutionnelle, comme la plupart des institutions centrales, n’a pas bonne presse. "C’est de l’acharnement contre un peuple, un instrument anti-serbe. Des étrangers qui viennent d’on ne sait où y siègent. Ils ne peuvent rien nous interdire", s’insurge Aleksandar.
Milomir, 42 ans, restaurateur, ancien soldat de l’armée serbe originaire de Sarajevo, renchérit en sirotant son café : "L’indépendance, c’est la volonté de notre peuple. J’espère la voir se réaliser de mon vivant". En effet, pour de nombreux observateurs de la région, ce référendum pourrait n'être qu'un prélude à une déclaration d’indépendance et à l’implosion de la Bosnie-Hérzégovine.
"Ceci a été clairement énoncé avant la guerre, pendant la guerre et l’est encore deux décennies après la guerre. Le pays est complètement déchiré ethniquement. Et cela peut durer éternellement, au moins jusqu'à ce que les citoyens ordinaires comprennent que comme pendant la guerre, ils étaient victimes des armes à feu, aujourd'hui, ils sont victimes de cette politique ethno-nationale", analyse Zerija Seizovic, professeur à la faculté de sciences politiques de Sarajevo.
Une voiture aux couleurs rouges du SNSD, le parti au pouvoir de Milorad Dodik, passe devant le café. Les haut-parleurs appellent les habitants à se rendre au meeting que tient le leader bosno-serbe Milorad Dodik le soir même. Il y déclarera que l’entité serbe est "un État" : "les Serbes ont toujours été libres quand ils ont eu leur État".
"Dodik se maintient au pouvoir depuis une décennie en menaçant en permanence de référendum et de sécession. Et il porte atteinte à la stabilité du pays, à l’ordre constitutionnel, à l’État de droit et à la démocratie. Dans cette dynamique, il est difficile de garantir que la situation ne va pas à un moment échapper à tout contrôle", s’inquiète Bado Weber, du Democratization Policy Council (DPC) – un think thank transatlantique basé à Berlin.
Exacerber les sentiments nationalistes pour faire oublier les affaires de corruption et l’économie sinistrée, quitte à faire imploser le fragile équilibre bosnien. La stratégie de Milorad Dodik à une semaine des élections locales prévues le 2 octobre prochain est électoralement payante. Il a remporté "son" référendum avec un score soviétique de plus de 99 %.
À Pale, une résidence étudiante baptisée au nom d’un criminel de guerre
Salué comme un "acte de défense" par Blijana Plavšić - qui a plaidé coupable des accusations de crimes contre l’humanité et a bénéficié d’une réduction de peine, le referendum sert de prétexte à une démonstration de force des autorités de l’entité serbe. "La Republika Srpska est redevable à ceux qui ont eu la vision de la créer, qui ont eu le courage de se mettre à sa tête", déclarera Milorad Dodik lors de son meeting.
Les admirateurs des figures tutélaires comme Radovan Karadzic, théoricien et adepte de l'épuration ethnique, condamné en mars 2016 à 40 ans de prison pour génocide et crimes contre l'humanité, sont nombreux parmi les électeurs. "Il a été condamné sans aucune preuve", explique une institutrice de Pale.
Une résidence universitaire de la ville porte d’ailleurs le nom de "Radovan Karadzic". Le bâtiment encore vide a été inauguré récemment par sa fille Sonja, vice-présidente de l’assemblée parlementaire de l’entité serbe, qui défend la même ligne idéologique que son père. Radoje, un professeur de collège en retraite, aurait d'ailleurs préféré qu’on garde le nom pour un hôpital plutôt que de la donner à un vulgaire bâtiment. "C’était un médecin, un humaniste", dit-il.
Les habitants de Sarajevo craignent l’escalade
Pendant ce temps, à Sarajevo, la capitale de la Bosnie-Herzégovine, des familles se pressent au Sarajevo City Center, le plus grand centre commercial des Balkans. Un retraité s’inquiète."Ce référendum, il ne fallait pas le tenir, dit-il. C’est une attaque contre la constitution, contre la Bosnie. Que va-t-il se passer maintenant ? J’espère qu’on ne va pas assister à une escalade".
Pour l’instant, l’escalade est verbale. Mais la rhétorique a rarement été aussi guerrière depuis la fin de la guerre. Un ancien général de l’armée bosnienne, Sefer Halilovic, a déclaré que "nous ne menaçons personne, mais nous ne laisserons pas non plus qui que ce soit s’emparer d’une partie de la Bosnie-Herzégovine". Il a ajouté que l’entité serbe "ne tiendrait pas plus de quinze jours sans l’aide de Belgrade contre les troupes fédérales de Bosnie-Herzégovine". Ce à quoi le ministre serbe des Affaires étrangères, Ivica Dacic, a finalement rétorqué que la Serbie défendrait les Serbes de Bosnie-Herzégovine si jamais ils étaient attaqués.
Amra, 40 ans, conduit son bébé dans une poussette. Elle se dit lasse : "J’espère que cela n’aura aucune incidence sur la Bosnie. Ce sont de vieilles histoires, Il faut se tourner vers l’économie. Je ne suis pas inquiète… Peut-être parce que j’ai aussi un passeport belge. Je peux quitter le pays quand je veux". Mirsad, un entrepreneur de 50 ans, consulte compulsivement son smartphone, en attendant ses filles devant le centre commercial. "Comment je pourrais ne pas être inquiet ? Je suis à deux doigts de dire à mes filles de faire leurs valises et de partir. Je ne veux pas avoir à prendre un fusil ou que des gens plus jeunes que moi soient contraints de le faire. Il faut donner leur indépendance aux Serbes de Bosnie. Je n’osais pas le dire en 1995 de peur de passer pour un traître mais leurs revendications font peser des menaces permanentes sur la paix dans le pays".
Des sanctions peu probables
Le maintien de l’intégrité territoriale du pays est une priorité affichée par Sarajevo. Bakir Izetbegović, le membre bosniaque de la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine estime que Milorad Dodik "connaîtra le même sort que Slobodan Milošević, Saddam Hussein et Mouammar el-Kadhafi" après ce référendum illégal. "C’est un exemple éclatant de violation des accords de Dayton et des règles du pays. On ne sait pas encore de quelle nature sera la sanction, mais il est sûr qu’elle aura lieu".
Ce scénario est cependant peu probable, malgré l'ouverture, lundi, d'une enquête du parquet contre Milorad Dodik. "La communauté internationale démontre sa faiblesse à l’égard de Dodik depuis une dizaine d’années et n’a pas de volonté politique réelle de s’engager sérieusement en Bosnie. Quant aux Russes, ils soutiennent Dodik parce qu’il pointe la faiblesse des Occidentaux", estime l’expert de la région, Bado Weber.
La Commission européenne s’est contentée de rappeler que le référendum n’a aucune valeur légale. "Il me semble que la communauté internationale optera d’abord pour la politique de l’autruche. Cependant, elle cherchera à isoler Milorad Dodik politiquement, quels que soient les résultats des élections locales de dimanche prochain", estime Tonino Picula, eurodéputé croate, et président de la commission du Parlement européen pour les relations avec la Bosnie-Herzégovine.