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11-septembre : pourquoi Barack Obama ne veut pas autoriser les poursuites contre l’Arabie Saoudite

Barack Obama mène bataille contre le Congrès pour empêcher l’entrée en vigueur d’une loi qui permettrait aux citoyens américains de poursuivre en justice l'Arabie saoudite pour son implication éventuelle dans les attentats du 11 septembre 2001.

Il l’avait promis, il l’a fait : Barack Obama a opposé vendredi 23 septembre son veto au Justice Against Sponsors of Terrorism Act (Jasta, ou loi pour une justice contre les soutiens du terrorisme), qui avait été adopté successivement et sans heurts par les députés et les sénateurs américains. Le texte définitif avait été voté seulement deux jours avant les cérémonies marquant le 15e anniversaire de l’attaque qui a tué près de 3 000 personnes à New York, Washington et en Pennsylvanie, le 11 septembre 2001. Mais cette loi, avait prévenu Obama, instaurerait un dangereux précédent en droit international.

Samedi, des parlementaires ont menacé de contourner ce veto en réunissant une majorité des deux tiers de la chambre des représentants et du Sénat. Un tel passage en force serait un coup inédit porté à Obama : pendant ses huit années à la Maison blanche, il a opposé neuf fois son veto sans que celui-ci ne soit jamais annulé.

Si elle entrait en vigueur, cette loi permettrait aux citoyens américains de poursuivre des gouvernements étrangers en justice si ceux-ci ont appuyé des attaques qui ont tué des Américains sur le territoire des États-Unis.

Dans le cas des attaques du 11-septembre, quinze des 19 hommes responsables étaient saoudiens. Et si l’Arabie saoudite a toujours nié avoir soutenu les terroristes, les familles des victimes demandent depuis des années le droit de poursuivre en justice le riche royaume pétrolier pour le rôle que des responsables saoudiens pourraient avoir eu dans la tragédie.

Certaines familles de victimes et parlementaires reprochent donc à Obama de nier leur droit à obtenir justice auprès des tribunaux, l’accusant de céder aux pressions diplomatiques de Riyad. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis et l’Arabie saoudite entretiennent des relations économiques et diplomatiques stables.

( "Si les Saoudiens n’ont rien fait, ils ne devraient pas craindre Jasta. S’ils sont coupables pour 9/11, ils doivent pouvoir être tenus pour responsables" )

Le sénateur Chuck Schumer, membre important du Parti démocrate et allié traditionnel d’Obama, a fustigé la décision de ce dernier et a estimé que l’ensemble des parlementaires la contourneraient dans une rare démonstration d’unité bipartisane. "Les familles de victimes du 11-septembre méritent justice et cela ne devrait pas leur être refusé pour des raisons diplomatiques", a-t-il fulminé.

"J’ai beaucoup de compassion pour les familles des victimes des attaques terroristes du 11 septembre 2001", a rétorqué Obama dans une lettre adressée au Sénat, cette semaine, avant d’insister sur le fait que Jasta mettrait in fine les intérêts américains et la sécurité nationale en péril.

"Immunité souveraine"

L’administration Obama souligne depuis des semaines le danger que constituerait cette exception au droit international, qui pourrait se retourner contre les États-Unis. En représailles d’affaires portées devant les tribunaux américains, le personnel militaire, les diplomates ou même les entreprises américaines pourraient faire l’objet d’attaques en justice à l’étranger, explique l’administration. La Maison blanche a également prévenu que cette loi affaiblirait l' "immunité souveraine", un pilier du droit international dont les États-Unis bénéficient peut-être plus que n'importe que quiconque.

Le porte-parole de la Maison blanche, Josh Earnest, a rappelé peu après le veto que le président syrien, Bachar al-Assad, avait accusé les États-Unis de soutenir des activités terroristes sur son territoire à peine quelques jours plus tôt. "De telles exceptions (à l’immunité souveraine) mettraient les États-Unis face à un important risque légal. Il arrive régulièrement que d’autres pays accusent les États-Unis de terrorisme, faussement et de façon irresponsable." Si Josh Earnest a reconnu que Riyad avait protesté contre la loi, il a affirmé que le royaume est loin d’être le seul pays à avoir émis des réserves.

L’Union européenne (UE) a effectivement demandé avec insistance à Obama de bloquer Jasta dans une lettre du 21 septembre. "L’immunité d’État est un pilier du droit international. Toute exception à ce principe risque de provoquer des représailles par d’autres États, et l’érosion du principe lui-même", écrit l’UE.

Politiquement inopportun

L’opposition d’Obama à cette loi risque non seulement de ternir son héritage de défenseur de l’intérêt américain aux yeux des parlementaires, survivants du 11-septembre et citoyens américains ordinaires, mais aussi de le placer en porte-à-faux vis-à-vis de son ancienne secrétaire d’État et actuelle candidate démocrate à l’élection présidentielle, Hillary Clinton. L’équipe de campagne de Clinton a ainsi répété, vendredi, que l’ancienne First Lady signerait la loi si elle devait être élue.

Le candidat républicain, Donald Trump, en a, lui, profité pour dépeindre une nouvelle fois Obama comme faible dans la lutte contre le terrorisme. Il a jugé que le veto de l’actuel président était un acte "honteux [qui] restera[it] dans l’histoire comme l’un des pires moments de sa présidence".

Josh Earnest a reconnu que la position d’Obama était impopulaire mais il a affirmé que le Président n’était préoccupé que par l’impact à long terme sur la sécurité nationale. "C’est cela qui motive la décision du Président d’opposer son veto à cette loi, a-t-il insisté. Pas parce que c’est opportun, ça ne l’est pas. C’est politiquement inopportun."

L’administration Obama pourrait bien éviter que son veto soit contourné, en convainquant les parlementaires de ne pas voter contre, ou en retardant le vote jusqu’à la fin de son mandat.

Le président Obama, qui avait déjà attendu pour opposer son veto, a réussi à obtenir le soutien d’opposants, à l’image du député Mac Thornberry (Texas), président du Comité des forces armées, qui a envoyé une lettre à ses collègues républicains, leur demandant de prendre davantage en considération les conséquences qu’aurait la loi.

Bien que les parlementaires aient menacé d’organiser un vote dès la semaine prochaine, le règlement du Congrès pourrait le retarder jusqu’à après l’élection présidentielle du 8 novembre. Après cette date, Obama pourrait continuer de se battre contre ce texte, mais de l’extérieur de la Maison blanche.