
Des manifestants du mouvement des Gilets jaunes demandant notamment la création du référendum d'initiative citoyenne (RIC), le 12 septembre 2020, à Bordeaux. © Philippe Lopez, AFP
Pétition contre la loi Duplomb, manifestations contre la réforme des retraites, procédure de référendum d’initiative partagée contre la privatisation d’Aéroports de Paris, Grand débat national et cahiers de doléances... Depuis plusieurs années en France, les initiatives suscitant une forte participation des citoyens se sont multipliées, sans parvenir pour autant à obtenir des victoires politiques et se terminant le plus souvent dans la frustration.
Pour le sociologue Jean-Michel Fourniau, directeur de recherche émérite à l’Université Gustave-Eiffel et président du groupement d’intérêt scientifique Démocratie et participation, la classe politique française est réticente à l’idée de donner un pouvoir de décision aux citoyens et elle reste attachée à la démocratie représentative.
La France a créé des dispositifs permettant aux citoyens de s’exprimer en dehors des élections comme le référendum d’initiative partagée (RIP) ou les plateformes de pétition en ligne, mais ceux-ci apparaissent comme trop complexes ou inutiles. Ainsi, malgré près de 1,7 million de signatures comptabilisées, mardi 22 juillet en fin d'après-midi, la pétition contre la loi Duplomb pourrait se solder par un simple débat sans vote à l’Assemblée nationale. De quoi créer "de la frustration au sein de la population" et à plus long terme "un risque pour notre démocratie", prévient le sociologue.
France 24 : La pétition contre la loi Duplomb a recueilli près de 1,7 million de signatures. Comment analysez-vous un tel élan participatif ?
Jean-Michel Fourniau : Ce qu’il se passe avec cette pétition est très significatif. Elle témoigne d’abord d’un ras-le-bol d’une partie de la population face aux reculs en matière d’environnement depuis plusieurs mois. La loi Duplomb est un peu la loi de trop qui fait réagir les gens concernés par les questions environnementales et les questions de santé. Elle cristallise sur elle de nombreux mécontentements liés à ces problématiques.
D’autre part, le succès de cette pétition démontre encore une fois l’envie des citoyens d’avoir leur mot à dire dans les décisions. D’autant qu’on parle ici d’une pétition sur la plateforme de l’Assemblée nationale, où il faut s’identifier, passer certaines étapes avant de pouvoir signer. C’est beaucoup moins facile et accessible que sur un site classique dédié aux pétitions. Le processus d’identification élimine forcément du monde et pour ceux qui vont au bout de la démarche, c’est une forme d’engagement plus importante. Cela rend ce chiffre de 1,7 million de signatures encore plus remarquable.
La pétition n’aboutira, au mieux, qu’à un débat sans vote à l’Assemblée nationale. N’y a-t-il pas un risque pour les citoyens d’avoir une nouvelle fois le sentiment de ne pas être écoutés ?
Bien sûr. Comme pour tous les dispositifs de participation citoyenne existant en France, leur influence sur la décision finale reste très faible et très aléatoire. L’idée de la pétition est davantage de faire pression sur le président de la République pour qu’il recule sur la loi Duplomb que d’obtenir directement son abrogation. Si, au final, il n'y a qu’un débat sans conséquence à l’Assemblée nationale et que derrière la loi s’applique, cela créera forcément de la frustration au sein de la population.
Et au-delà de la loi Duplomb, c’est un risque qui pèse sur notre démocratie. L'envie de participer aux décisions est très forte en France. Il y a une appétence pour le débat public et la participation citoyenne est devenue une question politique importante pour les citoyens. Ne pas y répondre crée de la défiance vis-à-vis de la classe politique, favorise l’abstention et alimente les discours populistes anti-système et anti-élites portés en particulier par l’extrême droite.
À l’étranger, beaucoup de pays disposent de procédures permettant aux citoyens de donner leur avis via un référendum, mais comme en France, celles-ci sont le plus souvent très encadrées, rendant leur application difficile. L’Italie, par exemple, permet le "référendum abrogatif d’initiative populaire" grâce à la collecte de seulement 500 000 signatures citoyennes, mais impose un quorum de participation de 50 % du total des inscrits sur les listes électorales qui a pour conséquence d’invalider la plupart des initiatives allant jusqu’au vote.
A contrario, le Liechtenstein, la Slovénie, l’Uruguay, certains États américains comme la Californie, et bien évidemment la Suisse font figures d’exemples. Nos voisins helvètes n’ont besoin que de 50 000 signatures, soit environ 1 % du corps électoral suisse, pour lancer un référendum sur l’annulation d’une loi votée au Parlement. Ils peuvent également initier un texte législatif en recueillant 100 000 soutiens citoyens.
Il y a pourtant des exemples qui fonctionnent à l’étranger. La France a-t-elle un problème avec la participation citoyenne ?
C’est effectivement quelque chose que l’on observe chez les gouvernants, qui tiennent pourtant des discours très favorables à la participation citoyenne. Emmanuel Macron, notamment, a pris un certain nombre d’initiatives, mais il n’en a jamais rien fait. Avec le Grand débat national, lancé au moment de la crise des Gilets jaunes, tout le monde a pu donner son avis. Mais, ensuite, les débouchés en termes de décisions ont été peu tangibles. Et il a fallu attendre plusieurs années et toute une procédure pour rendre les cahiers de doléances accessibles à tous.
Il y a en France une forme d’hostilité et une très grande peur des politiques vis-à-vis de la démocratie directe. C’était très frappant lors de la Convention citoyenne pour le climat, à laquelle j’ai participé en tant qu’observateur. Les députés comme les sénateurs étaient très réticents à l’idée que 150 citoyens tirés au sort puissent faire des propositions législatives et ils ont refusé que des administrateurs de l’Assemblée nationale et du Sénat participent à la Convention au sein du comité légistique qui devait aider les citoyens à écrire leurs mesures. Ils considèrent qu’écrire la loi est leur prérogative, pas celle des citoyens.