
Le groupe britannique Massive Attack se produit sur scène lors de la 20e édition du festival Rock en Seine à Saint-Cloud, en région parisienne, le 24 août 2024. © Anna Kurth, AFP
Il s'appelle "Ethical Syndicate Palestine" et compte déjà plusieurs pointures de la musique britannique : du légendaire producteur et musicien Brian Eno en passant par les rockers irlandais de Fontaines DC, tous s'insurgent contre "la censure" visant les artistes qui s'engagent publiquement contre la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza.
À l'origine de cette initiative, le groupe britannique pionnier du trip-hop, Massive Attack, défenseur de longue date de la cause palestinienne. Dans une déclaration publiée sur Instagram, les musiciens dénoncent des "intimidations" visant à "faire taire les artistes".
"En raison de nos expressions de conscience, nous avons fait l'objet de diverses intimidations au sein de notre secteur", assure Massive Attack qui s'inquiète notamment pour les jeunes en début de carrière ou "les plus vulnérables professionnellement".
Pour afficher ce contenu Instagram, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixDans le viseur du collectif, une organisation de juristes pro israélienne, UK Lawyers for Israel (UKLFI), qui s'est montrée particulièrement active ces derniers mois en exerçant des pressions sur l'entourage de nombreux musiciens, selon un documentaire réalisé par le collectif militant Led by Donkeys.
Sollicité par The Guardian, UKLFI affirme défendre la liberté d’expression et ne vise que les "contenus offensants", critiquant directement Massive Attack pour un collage d'images diffusé le mois dernier lors d'un concert et sur lequel apparaît Yahya Sinouar, l'ancien chef de la branche armée du Hamas, tué par l'armée israélienne en octobre 2024.
"Mort à l'armée israélienne"
Ces derniers mois, plusieurs artistes britanniques ont été directement visés par des actions légales après avoir publiquement pris position, parfois de façon véhémente, contre la politique du gouvernement de Benjamin Netanyahu.
"Death to the IDF" [Mort à l'armée israélienne], a lancé fin juin l'un des membres du duo punk Bob Vylan lors du festival de Glastonbury. Un slogan "offensant" signalé à la police britannique par UKLFI qui a mis également en cause la BBC pour ne pas avoir interrompu la retransmission du concert.
Selon le Times, la directrice de la musique à la BBC a ensuite été mise sur la touche et la direction du radiodiffuseur national s'est engagée à ne plus retransmettre en direct des concerts d'artistes réputés pour leurs prises de positions politiques.
À la suite de la controverse, la ministre britannique de la Culture a estimé devant le Parlement que "chanter la mort des IDF équivaut à appeler à la mort de chaque juif israélien", suscitant un torrent de protestations sur les réseaux sociaux.
Bob Vylan se voit désormais déprogrammé de plusieurs festivals à l'image de Kneecap, qui s'inscrit lui aussi dans la grande tradition des formations punk et rap, faite d'outrances et d’engagements politiques.
L'un de ses membres, Liam O’Hann, alias Mo Chara, a notamment été inculpé en novembre 2024 pour apologie du terrorisme pour avoir brandi un drapeau du Hezbollah lors d’un concert à Londres. Des charges récemment abandonnées par la police britannique. Le groupe, lui, dément tout soutien au groupe paramilitaire libanais allié de Téhéran.
"Les propos de l'artiste n'engagent que lui. S'il provoque des troubles à l'ordre public, c'est au juge de se prononcer", tranche Stéphane Krasniewski, président du syndicat des musiques actuelles (SMA) qui s'inquiète d'un recul de la liberté d'expression des artistes depuis plusieurs années.
"Je ne peux que me réjouir de l'initiative de Massive Attack dont l'histoire et le poids médiatique peuvent permettre de protéger les plus fragiles. En France aussi, il y a une prise de conscience sur ce sujet et un tel syndicat pourrait voir le jour", assure le président du SMA.
Risques d'auto-censure
La question des limites de la liberté d'expression se posent en effet avec de plus en plus d'acuité en cette période estivale alors que les bombes continuent de tomber sur Gaza. Dans un communiqué publié le 17 juillet, la ville de Saint-Cloud a créé la polémique en annonçant suspendre sa subvention de 40 000 euros au festival Rock en Seine en raison de la programmation des fameux rappeurs irlandais de Kneecap.
La ville de Saint-Cloud a déclaré qu’elle "ne finance pas d’action, ni de revendications politiques et encore moins des incitations à la violence", en référence à une vidéo de 2023 où un membre de Kneecap affirme : "Un bon Tory [député conservateur] est un Tory mort". Des propos sulfureux qui avaient choqué alors que deux parlementaires ont été assassinés au Royaume-Uni : le conservateur David Amess, en octobre 2021, et la travailliste Jo Cox, en juin 2016. Les musiciens ont fini par présenter leurs excuses aux familles des deux députés disparus, plaidant des propos sortis de leur contexte.
"Le chantage à la subvention à l'aide publique est une arme redoutable. L'autre arme, ce sont les réseaux sociaux avec des campagnes organisées contre des personnalités publiques. Très clairement, on voit ces dernières années que les atteintes à la liberté d'expression se multiplient", estime Stéphane Krasniewski.
Le conflit à Gaza s'est également récemment invité en Belgique avec des appels au boycott visant le chanteur Amir. Plusieurs artistes programmés aux Francofolies de Spa ont décidé d'annuler leur participation en raison de la présence du chanteur franco israélien pointé du doigt pour son passé d'ancien soldat de l'armée israélienne et jugé proche du gouvernement.
En mai, le guitariste de Radiohead, Jonny Greenwood, et le musicien israélien Dudu Tassa avaient décidés d'annuler deux concerts au Royaume-Uni après avoir reçu des "menaces crédibles" suite à des appels au boycott.
"Les conditions du débat ne sont plus possibles et on en arrive à des prises de positions extrêmes dans un camp comme de l'autre C'est extrêmement angoissant", déplore Stéphane Krasniewski. "Un festival, une scène, doit rester un lieu qui peut être l'occasion de libérer des expressions et il faut à tout prix préserver cela".
Reflet des fortes tensions géopolitiques du moment, l'industrie musicale n'en a pas fini avec ce type de polémiques, comme en témoigne encore la programmation contestée aux Vieilles Charrues de la DJ russe Nina Kraviz, critiquée pour son absence de prise de position sur la guerre en Ukraine. Parmi les inquiétudes des professionnels du secteur, un risque d'auto-censure de la part des programmateurs de festivals, déjà confrontés à une équation économique de plus en plus complexe.