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Calais : les restaurants "illégaux" de la "jungle" dans le viseur de l'État

Les 72 restaurants qui ont fleuri dans la "jungle" de Calais ces dernières années sont menacés de fermeture. La préfecture du Pas-de-Calais demande leur destruction pour, entre autres, des problèmes d'hygiène. Les ONG s'offusquent.

L’État va-t-il raser tous les commerces de la "jungle" de Calais ? La préfecture du Pas-de-Calais a saisi fin juillet le tribunal administratif de Lille pour lui demander de valider sa demande de destruction de 72 restaurants "illégaux" qui ont essaimé dans le camp de migrants à Calais depuis plusieurs années.

Une audience en référé était en cours mercredi 10 août. La réponse de la justice est attendue vendredi. Selon la Voix du Nord, la préfecture du Pas-de-Calais a fait valoir que les commerces et restaurants de la "jungle" étaient à l’origine "de troubles graves à l’ordre public" et qu'ils ne respectaient pas les mesures élémentaires d’hygiène. "Non seulement ‘ce sont des lieux de ventes illégaux’, mais les migrants y sont ‘exploités’, s’y nourrissent de ‘viande avariée’ et y achètent ‘à crédit des outils, notamment des lames de cutter, pour attaquer les camions sur la rocade’", a argumenté Étienne Desplanques, directeur de cabinet de la préfète du Pas-de-Calais, dont les propos ont été repris dans le quotidien.

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La demande de la préfecture s'inscrit dans la continuité des opérations de police menées le mois dernier. Entre le 18 et le 21 juillet, en effet, tous les commerces informels de la "jungle" avaient été contrôlés par les autorités, et certains fermés. Dix-huit personnes avaient été placés en garde à vue et "42 procédures judiciaires avaient été réalisées avec saisie et destruction de plus de 30 m3 de marchandises diverses dont 19 kg de produits avariés", avait-on précisé à la préfecture.

"Aucun cas d’intoxication alimentaire"

Dans le camp opposé, du côté des associations, on joue la carte de la nécessité de ces lieux de vie. Selon un communiqué rédigé par huit collectifs d’aide aux réfugiés, dont L'Auberge des migrants, "la fermeture […] et la destruction de ces restaurants […] auront des conséquences graves". Car ces commerces jouent un vrai rôle de cohésion, arguent les ONG, "[ils] permettent la rencontre entre réfugiés, entre réfugiés et bénévoles, et assurent donc une meilleure sociabilité à la survie quotidienne dans le camp", explique notamment l’Auberge des Migrants sur son site internet.

"La préfecture parle de problème d’hygiène et de produits avariés, mais nous n’avons recensé aucun cas d’intoxication alimentaire", précise de son côté Valérie, chargée de communication chez Utopia 56, une autre association d’aide aux migrants, qui œuvre sur Calais et sur Grande-Synthe, contactée par France 24. "Tous ces petits restaurants sont alimentés chaque jour en produits frais. Nous, les membres des associations, y mangeons régulièrement. Et tout est cuit et re-cuit à la manière de pays qui n’utilisent que très peu les frigos", explique-t-elle.

Utopia 56 craint surtout qu'une autorisation de destruction soit un premier pas vers un démantèlement total – après la démolition de la zone sud du camp en février dernier. "La préfecture parle de 72 restaurants, mais nous [les ONG] en recensons une quarantaine dans la jungle. Nous pensons qu’il y a des risques pour que les autorités s’en prennent à d’autres lieux comme des épiceries, des petits commerçants…" Une pétition circule d’ailleurs pour demander que le Kid’s restaurant, créé exclusivement pour les mineurs, soit épargné.

Pénurie alimentaire

Les ONG insistent aussi sur la double fonction des échoppes qui hébergent aussi de nombreux migrants. "Ceux qui arrivent de nuit, ceux qui n’ont pas encore de tente ou de lieux pour dormir dans la jungle sont logés dans les restaurants. Tous ces lieux de vie abritent jusqu’à 250 personnes" précise Valérie d’Utopia 56.

Même si "ces commerces ont été créés sans aucune base légale", et que les gérants "ne paient ni impôts locaux, ni charges sociales, ni impôt sur le revenu", comme le rappelle l’Auberge des migrants, leur disparition pourrait donc aggraver la situation sur le camp. Les cuisines créées par les associations (comme Belgian Kitchen, Ashram Kitchen, Kitchen in Calais, Refugees Kitchen…) ont reçu une promesse orale d’être épargnées. Mais leurs distributions de nourriture seront-elles suffisantes ? "Le centre Jules Ferry [un centre d'accueil de jour situé à côté de la "jungle"], qui distribue actuellement entre 3 100 et 3 500 repas une fois par jour, est incapable d’assurer l’alimentation de tout le camp", s’alarme l’Auberge des migrants.

"Depuis la fermeture totale ou partielle [de certains établissements lors des contrôles de police], les associations ont dû augmenter le nombre de repas ou de sachets-repas", ajoute l’ONG. Une inquiétude partagée par Valérie. "Les files d’attente s’allongent [aux points de distribution de repas], cela crée toujours plus de tensions. Il faut faire attention".

Environ 4 500 réfugiés vivaient au mois de juin dans la "jungle", selon la préfecture, 7 000, selon les associations. Ces files d'attente, qui durent parfois plusieurs heures, peuvent donc déboucher sur des rixes, comme il s'en est produit plusieurs ces dernières semaines. Un migrant éthiopien a été tué le 26 juillet. À la fin du mois de mai, des affrontements entre Afghans et Soudanais avaient fait 40 blessés.

Avec AFP