Les Jeux olympiques de 1936, organisés à Berlin en pleine montée en puissance du régime nazi, ont leur lot d'histoires hors du commun. Parmi elles, celle de Gretel Bergmann, une athlète allemande juive boycottée par son propre pays.
Berlin, 1936. Depuis deux ans, Adolf Hitler dirige l'Allemagne. Les effets de la doctrine nazie commencent à se faire sentir sur le quotidien des citoyens juifs. Exclus des transports en communs, des jardins publics, de certaines fonctions... Et des clubs de sport.
Gretel Bergmann a 22 ans au moment des Jeux olympiques. Cela fait déjà trois ans que le club dans lequel elle obtenait de très bons résultats en saut en hauteur l'a exclue. "Quelques jours avant mon anniversaire, on m'a tout simplement dit : 'Tu n'es plus la bienvenue ici, parce que tu es juive'", se souvient l'ancienne sportive, aujourd'hui âgée de 102 ans.
Ses parents l'envoient alors au Royaume-Uni, où la jeune fille participe à (et remporte) de nombreuses compétitions. Dont le Championnat amateur britannique, en 1934, qu'elle remporte en atteignant 1,55 mètre.
Les athlètes juifs, écran de fumée de l'Allemagne nazie
Mais les Jeux olympiques de Berlin approchent, et le traitement que subissent les juifs sur le territoire nazi inquiète les autres nations. Les États-Unis font pression, et menacent de boycotter l'événement si aucun sportif juif ne figure dans l'équipe allemande.
Le régime rappelle alors Gretel Bergmann pour les Jeux. Les autorités menacent sa famille de représailles si elle ne rentre pas du Royaume-Uni, la jeune fille cède. Elle est alors intégrée à l'équipe officielle allemande pour les JO de Berlin, et entame son entraînement en 1936. À ses côtés, l'Allemagne a invité plusieurs autres athlètes juifs. Quasiment aucun d'entre eux ne sera sélectionné pour les Jeux olympiques, exception faite de la fleurettiste Helena Mayer, qui remportera la médaille d'argent, et de Rudi Ball, un joueur de hockey sur glace à moitié juif qui représentera l'Allemagne aux Jeux olympiques d'hiver.
"Ma candidature aux Jeux Olympiques n'étaient qu'une imposture"
Un mois avant l'ouverture de la compétition, Gretel Bergmann bat le record allemand de saut en hauteur, en dépassant 1,60 mètre. Son record est ignoré, et deux semaines avant la compétition, elle est écartée de l'équipe officielle pour "performances insuffisantes". "Ma candidature aux JO n’était qu’une imposture, un stratagème des Allemands pour escroquer le monde entier", analyse Gretel Bergmann.
Erreur sur la personne
Jusqu'ici, l'histoire de Gretel Bergmann est celle de nombreux athlètes juifs, écartés des pistes et des podiums par le régime nazi.
Tout devient plus croustillant quand on s'intéresse à sa concurrente, Dora Ratjen. Cette dernière est désignée pour la remplacer aux Jeux olympiques de 1936. Elle a alors 18 ans, et termine au pied du podium pendant la compétition de Berlin.
Son heure de gloire arrive plus tard : en 1938, elle participe aux Championnats d'Europe d'athlétisme et atteint la deuxième place, en établissant un nouveau record mondial à 1,70 mètre.
L'euphorie est de courte durée : dans le train du retour vers l'Allemagne, Dora Ratjen est arrêtée par la police après qu'un homme de son wagon a dénoncé "un homme habillé en femme". Interrogée par la police, Dora finit par avouer qu'elle est bien... Un homme.
Atteint d'un cas spécifique d'hermaphrodisme, "Dora" a été élevé par ses parents comme une fille, malgré son sexe masculin et les nombreux attributs qui vont avec, qui se manifestent dès l'adolescence. Lorsque la police découvre l'affaire, toutes les récompenses sportives de Dora Ratjen lui sont confisquées, et il est exclu de la Fédération allemande d'athlétisme.
70 ans plus tard, la justice
Les versions et hypothèses divergent quant au rôle de "Dora" (devenu Heinrich) pendant les Jeux olympiques. Pour certains, le régime nazi connaissait le vrai sexe de l'athlète, et aurait joué le jeu afin de pouvoir présenter un compétiteur de choix à la place de Gretel Bergmann. Pour d'autres, "Dora" Ratjen aurait été forcée par les Allemands à se faire passer pour une femme, selon un témoignage qu'Heinrich Ratjen (pourtant très timide avec les médias après la découverte de son vrai sexe) aurait donné à un journaliste du Time en 1966. Pour la plupart des observateurs, toute l'affaire semble étrange, tant l'apparence et les traits d'Heinrich Ratjen sont éloignés de ceux d'une femme. En 1938, c'est d'ailleurs sa pilosité faciale qui le "trahit".
Si la ville de Berlin baptise un stade "Gretel Bergmann Sports Arena" en 1995, la lumière médiatique ne revient sur cette affaire qu'en 2009, avec le film "Berlin 36" qui relate l'histoire de Gretel Bergmann et Dora Ratjen. Quelques mois plus tard, en novembre 2009, la Fédération allemande d'athlétisme restaure son record de 1,60 mètre datant de 1936, et demande à ce que Gretel Bergmann figure dans le "hall of fame" des sportifs allemands.
Après les Jeux olympiques de 1936, Gretel Bergmann est partie vivre aux États-Unis où elle a poursuivi sa carrière sportive. Elle a épousé le docteur Bruno Lambert et vit maintenant sous le nom de Margaret Lambert. Heinrich Ratjen, après le scandale sur son identité sexuelle, est parti vivre à Hanovre, puis a repris le bar tenu par ses parents. Il est décédé en 2008, sans avoir jamais accepté de raconter aux médias sa version de l'histoire.
Gretel Bergmann dit n'avoir jamais regretté d'être passée à côté d'un évènement mondial aussi historique : "Aurais-je gagné que ma vie aurait été mise en danger, parce que la victoire d'une juive aurait été considérée comme une insulte. Et si j'avais perdu, j'aurais été la risée de tous."
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