En évoquant la possible restauration de la peine capitale en Turquie, afin de châtier les putschistes qui ont tenté de le renverser, le président Recep Tayyip Erdogan a provoqué le courroux des pays européens et l’inquiétude des ONG.
L’heure est toujours à la vengeance et aux purges en Turquie, quelques jours après la tentative ratée de putsch contre le président Recep Tayyip Erdogan, qui a menacé de restaurer la peine de mort dans le pays pour châtier ceux qui ont osé le défier.
Répondant à des milliers de ses partisans, dont certains scandaient à tue-tête "Peine de mort ! Peine de mort !", lors d’une manifestation post-putsch samedi 16 juillet à Istanbul, l’homme fort du pays avait promis que leur demande serait entendue.
Alors que l’abolition de la peine capitale a été officiellement votée par les députés en 2002, cette prise de position a rencontré un écho très favorable sur les réseaux sociaux, où le hashtag #Idamistiyorum (qui veux dire "je veux la peine de mort") a depuis été utilisé des dizaines de milliers de fois sur Twitter en Turquie.
Dimanche, le président Erdogan, qui a déjà évoqué en 2012 cette possibilité, a précisé sa pensée, après les funérailles de victimes du putsch raté. "En démocratie, la décision, c'est ce que veut le peuple", a plaidé le chef de l'État turc, suspecté par ses détracteurs de profiter des évènements pour étendre son pouvoir. "Nous ne pouvons pas trop retarder cette décision car dans ce pays ceux qui mènent un coup contre l'État doivent en payer le prix".
Son Premier ministre Binali Yildirim, qui a lui aussi évoqué cette possibilité au cours du weekend, a tempéré son propos lundi, en affirmant "qu’il n'est pas bon de prendre une décision avec précipitation (...) mais (que) la demande du peuple ne peut être ignorée". Il a précisé que le sujet sera débattu au Parlement, puisqu’une telle décision implique une révision de la Constitution.
Les Européens haussent la voix
Interrogé par France 24, le professeur Samim Akgönül, historien et politologue spécialiste de la Turquie à l'université de Strasbourg, estime que "le président et son Premier ministre voient d’un très bon œil la possibilité d’infliger la peine de mort aux putschistes pour s’en débarrasser, tout en expliquant qu’ils ne font que répondre à la demande du peuple."
Mais il est vrai qu’entre-temps, de nombreuses voix se sont élevées en Europe, lundi, pour appeler le pouvoir turc à la retenue à l’égard des quelque 7 500 personnes arrêtées dans le cadre de l'enquête. "Aucun pays ne peut adhérer à l’Union européenne s'il introduit la peine de mort", a menacé la chef de la diplomatie de l’UE, Federica Mogherini.
"L'Allemagne et l'UE ont une position claire : nous rejetons la peine de mort catégoriquement", a averti pour sa part Steffen Seibert, porte-parole du gouvernement allemand, lors d'un point presse. "L'introduction de la peine de mort en Turquie signifierait en conséquence la fin des négociations d'adhésion à l'Union européenne", a-t-il ajouté.
"C’est une direction très dangereuse, car le rétablissement de la peine de mort en Turquie reviendrait à couper entièrement le pont avec les Européens, y compris avec le Conseil de l’Europe, dont la Turquie est un membre très important", prévient Samim Akgönül. En effet, tout membre du Conseil de l’Europe est liée par la convention européenne des droits de l’Homme, qui rejette la peine de mort.
Les ONG prennent la menace "très au sérieux"
Du côté des ONG qui luttent en faveur de l’abolition de la peine de mort, la nouvelle a été accueillie avec beaucoup d’inquiétude. Notamment du côté d'Amnesty International France. Contactée par France 24, Anne Denis, responsable de la Commission abolition de la peine de mort au sein de l’ONG, affirme "surveiller la situation de très près", d’autant plus que "le président Erdogan a désormais les moyens d’imposer au Parlement, dominé par ses partisans, le vote d’une loi réinstaurant la peine de mort".
Même son de cloche outre-Manche, du côté de Reprieve. "Les déclarations des dirigeants turcs sont extrêmement inquiétantes, confie à France 24 Maya Foa, la directrice de l’équipe chargée de la peine de mort au sein de l'ONG britannique de défense des droits de l'Homme. La réinstauration de la peine capitale en Turquie n’apportera pas la justice, mais bel et bien le contraire".
À la question de savoir dans quelle mesure il faut prendre au sérieux la menace brandie par le camp Erdogan, souvent accusé de verser dans la démagogie, elle s’interroge. "Il n’est pas évident pour l’instant de savoir si les commentaires du président turc constituent une proposition sérieuse, ou s’il s’agit d’une simple menace, dit-elle. Mais il est crucial que les pays européens et que les nations qui ont des relations étroites avec la Turquie interviennent fermement avant que cette suggestion aille plus loin."
Enfin, Maya Foa espère que la Turquie "restera cohérente" sur cette question, en rappelant qu’en mars 2016, lors d'un sommet des Nations unies, la Turquie avait réaffirmé publiquement son "opposition sans équivoque à la peine de mort en toutes circonstances".