
Le parcours de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l’homme qui a fauché 84 vies à l'aide d'un camion de 19 tonnes, lors des festivités du 14-Juillet, sur la Promenade des Anglais à Nice, se dessine au fil de l'enquête. Portrait.
Sa jeunesse en Tunisie, ses accès de violence, son divorce, sa supposée radicalisation.., le parcours et la personnalité de l'auteur de l'attentat de Nice se dévoilent peu à peu.
Mohamed Lahouaiej Bouhlel est né en janvier 1985 en Tunisie. Une enfance passée dans la petite ville de Msaken, située au sud de Sousse. Des frères et sœurs, une famille respectée dans le village, une vie jusque-là sans histoire.
Muscu, shit et salsa
À la vingtaine, le jeune homme se marie avec une franco-tunisienne, une cousine originaire elle aussi de Msaken. En 2008, le jeune couple s’installe définitivement en France, au 12e étage d’un immeuble situé au cœur de la cité "Bateco", au nord de Nice. L’année suivante, Mohamed Lahouaiej Bouhlel reçoit une carte de séjour valable jusqu’en 2019.
Le Tunisien, désormais père de trois enfants en bas âge, mène une existence loin de la religion. Il ne met jamais les pieds dans la mosquée située en contre-bas de son quartier, boit des bières, mange du porc, au dire de son entourage. Très loin de la religion même. Le trentenaire pratique plus volontiers la consommation de shit et la drague. Des faits de violences conjugales sont rapidement signalés aux autorités. Les mains courantes se succèdent, une procédure de divorce – toujours en cours au moment de sa mort – est lancée.
Des habitants de sa tour décrivent un homme alcoolique, violent, à la limite de la folie. "Il faisait des crises. Quand il s'est séparé de sa femme, il a déféqué partout, trucidé le nounours de sa fille à coups de poignard et lacéré les matelas", confie un résident de la barre d'immeubles "La Bretagne" au Huffington Post. "Un jour, il est venu chercher les voisins pour qu'on constate qu'elle n'avait pas fait la vaisselle", rapporte-t-il. Le concierge, qui connaissait aussi le couple, se souvient d’un homme "très violent avec sa femme", une épouse décrite comme "discrète", "timide" et "gentille".
Séparé de sa femme, le trentenaire, qui travaille comme chauffeur livreur, quitte le domicile familial et emménage au 62 de la route de Turin, dans le quartier des anciens abattoirs, à l’est de Nice. Là encore, ses voisins gardent l’image d’un homme taiseux, qui inspire la méfiance. Les seuls loisirs que son entourage lui connaisse semblent tourner autour de la musculation, la boxe, le MMA – le Mix martial art –, un sport de combat aussi appelé free fight où quasiment tous les coups sont permis. Il aime aussi la salsa et les filles.
Le jeune homme costaud entretient son corps, à défaut d’entretenir des liens amicaux et familiaux. Ses échanges avec sa famille restée en Tunisie se raréfient jusqu’à disparaître. Avant ce long silence, son père était conscient "des problèmes […] qui ont provoqué [chez son fils] une dépression nerveuse. Il devenait colérique, il criait, il cassait tout ce qu’il trouvait devant lui", assure-t-il à différents médias.
Du petit délinquant au grand criminel
C’est aussi à cette époque qu’il se fait connaître "des services de police et de justice pour des faits de menaces, violences, vols et dégradations commis entre 2010 et 2016", selon les termes de François Molins, procureur de Paris. Le 27 janvier dernier, Mohamed Lahouaiej Bouhlel agresse un automobiliste qui lui demande de déplacer sa camionnette qui perturbe le trafic. L’esprit du Tunisien s’embrase. Il envoie "une palette de bois" au visage du conducteur. Le malheureux a le crâne fracturé. L'agresseur est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire durant deux mois avant d’être condamné le 24 mars à six mois de prison avec sursis. Un "délinquant classique", estime malgré tout son ancien avocat, Maître Delobel, dans les colonnes du quotidien 20 minutes. Rien en tout cas qui ne laisse présager le futur carnage de la Promenade des Anglais.
Et pourtant, la piste d'un acte prémédité semble se préciser. La semaine qui précède son passage à l’acte, il vide son compte en banque en une semaine. Le 11 juillet, le chauffeur livreur se rend seul à Saint-Laurent-du-Var pour louer, en son nom, un camion frigorifique de 19 tonnes grâce à son permis poids-lourd. Mercredi 13 juillet, il vend sa voiture. Mohamed Lahouaiej Bouhlel se serait par ailleurs rendu deux fois sur les lieux de son forfait, les 12 et 13 juillet, d’après des informations recueillies par Europe 1, puis confirmées par des sources proches du dossier. L'homme apparaît sur les images des caméras de surveillance, au volant de son poids lourd, en train d'observer les alentours avec attention, assurent les journalistes du service police-justice de la radio. En outre, l’homme aurait échangé des SMS au sujet d’armes avant son attaque.
Une "radicalisation" express
Quelques heures après l’attaque, les autorités françaises laissent entendre que l’auteur de l’attaque meurtrière du 14-Juillet aurait pu avoir des liens avec une organisation terroriste. Samedi 16 juillet, le groupe État islamique revendique (EI) l’opération sanglante de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, élevé au rang de "soldat de Daech [EI, NDLR]". Pourtant, aucun signe de radicalisation ne semblait transparaître chez lui.
Bouhlel aurait-t-il alors trompé son monde ? Maître Delobel, son ancien avocat se montre sceptique. "Honnêtement, je n’ai pas trouvé qu’il était un individu d’une intelligence extrême, précise-t-il toutefois. Je ne crois pas qu’il était capable de tromper et manipuler autant de personnes. Il m’a plus donné l’impression d’un délinquant "bourrin", un peu violent et impulsif".
D'après le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, le Tunisien "semble s'être radicalisé très rapidement". Il s'agit d'"un attentat d'un type nouveau" commis par "des individus sensibles au message de Daech (qui) s'engagent dans des actions extrêmement violentes sans nécessairement avoir participé aux combats, sans nécessairement avoir été entraînés", a indiqué le ministre. Certaines personnes mises en garde à vue ont également évoqué un "basculement récent vers l'islam radical". L'exploitation du matériel informatique saisi aux deux adresses du chauffeur pourront certainement en dire davantage.