Plusieurs centaines de joueurs de Pokemon Go se sont rassemblés, jeudi, dans le jardin du Luxembourg, à Paris, pour une "chasse géante" de ces petites créatures virtuelles. Reportage sur un phénomène qui s'installe dans la vie réelle.
Le raz-de-marée Pokemon Go a fini par déferler en masse dans une grande ville française. Des centaines de "chasseurs de Pokemons" ont ainsi bravé l’opposition du Sénat, qui gère le jardin du Luxembourg, pour s’adonner à leur passion, en cette après-midi ensoleillée de la mi-juillet. Les paisibles allées du célèbre parc bruissaient ainsi de conversations incongrues :
"Hé les filles, vous avez pas vu du Taupiqueur dans le coin ? Non, bon tant pis. Allez, bonne chasse et bonne fête nationale !"
Les deux garçons en débardeur replongent le nez dans leur smartphone avant de s'éloigner pendant que Calypso et Lorenz, étudiantes en arts plastiques de 17 et 18 ans, continuent leur quête effrénée de Pokemons.
Autour d'elles, des grappes de jeunes, le nez collé à leur smartphone, déambulent dans les allées du jardin du Luxembourg. Les petits groupes se croisent, s'interpellent dans une langue impénétrable pour le non-initié.
"Ah un Roucool !", "Y'a de l'Excelangue partout ici... Mais moi c'est un Tauros que je veux", "Ça chasse, ça chasse !"
Au nez et à la barbe des habitués du jardin du Luxembourg, c'est effectivement une véritable battue virtuelle qui est en train de prendre place.
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Chasse virtuelle dans un décor bien réel
L'application mobile Pokemon Go superpose en effet des éléments virtuels – comme les fameux Taupiqueur, Roucool & Co – sur une carte représentant le monde réel.
C'est la principale différence avec les jeux vidéo traditionnels et leurs décors imaginaires : ici le joueur, géolocalisé grâce à son smartphone, est littéralement obligé de se déplacer dans le monde réel pour attraper et collectionner les Pokemons.
Cette formule ludique dite de "réalité augmentée" a emporté l'enthousiasme des joueurs, avec 15 millions de téléchargements au compteur, et fait saliver les financiers qui se sont rués sur l'action de l'éditeur de jeux vidéo Nintendo.
Ce raz-de-marée virtuel est également en train de déborder les autorités, comme le montrent les centaines de "chasseurs de Pokemons" présents jeudi, alors que le Sénat avait expressément demandé aux organisateurs d'annuler l'événement.
"On a posté l'événement sur Facebook dimanche à minuit. Lundi matin, on avait déjà plus de 1 000 participants. On a alors commencé à se renseigner et le Sénat nous a demandé d'annuler pour des raisons de sécurité", explique à France 24 Raphaël Candelaresi, qui anime la page Facebook Pokemon Go France.
"C’est la fin des programmes minceurs pour les jeunes obèses !"
Les organisateurs ont finalement annoncé l'annulation de cette "chasse géante" alors que 4 500 personnes avaient déjà confirmé leur présence. L'accès au jardin du Luxembourg étant libre, rien n’empêchait les joueurs de venir braconner du Pokemon en toute tranquillité.
"Le fait que des centaines de personnes se soient quand même déplacées va à l'encontre des préjugés sur les geeks qui restent enfermés chez eux", souligne Raphaël Candelaresi, qui est également ingénieur en informatique et développeur indépendant de jeu vidéo.
De fait, le jeu incite les participants à parcourir à pied de nombreux kilomètres pour attraper ou faire éclore des œufs de Pokemons.
Tablette à la main et veste de survêt' estampillée Euro-2016, Yves Furic, 25 ans, accumule ainsi les kilomètres depuis qu'il a téléchargé l’application Pokemon Go, trois jours plus tôt. "Étant donné que c'est les vacances, c'est facile de passer beaucoup de temps à jouer et à marcher", explique l'étudiant en informatique, qui a déjà parcouru 15 kilomètres pour attraper des Pokemons. "Hier, j'ai croisé deux personnes qui avaient fait le trajet entre L'Haÿ-les-Roses et la Tour Eiffel à pied, soit 20 bornes. Avec Pokemon Go, ce sont tous les programmes de minceur pour jeunes obèses qui vont disparaître !", s'exclame Yves Furic.
Chasseurs devenus proies
La question de la monétisation et de l'utilisation des données personnelles collectées par les éditeurs du jeu ne semble pas effrayer les joueurs rencontrés au jardin du Luxembourg.
L'animateur de la page Facebook Pokemon Go France, Raphaël Candelaresi, se dit sensible à cette question mais ne se voit pas renoncer au jeu pour autant.
"On est déjà largement pistés par des boîtes comme Facebook ou Google, qui nous proposent des services gratuits agréables. Pour l'instant, ça ne m'a jamais porté préjudice", explique l'ingénieur en informatique.
Pendant que la chasse bât son plein dans les allées du jardin, une autre battue virtuelle se prépare sans doute dans les couloirs des développeurs du jeu. Une chasse autrement plus lucrative où les joueurs – ou plus précisément leurs données personnelles – seront les proies.
"Pour jouer, j'ai dû m'inscrire avec mon compte Google. On a déjà un petit peu l'habitude de tout ça", explique Yves Furic.
"Mais là, par précaution, je vais quand même créer un autre compte Google spécialement dédié pour jouer à Pokemon Go"