En lien avec l'Université de Washington, la firme américaine travaille depuis plusieurs années au développement des solutions de stockage du futur. Exit les salles d'archives et les disques durs : c'est dans la microstructure de l'ADN que ça se passe.
Lorsque l’espèce humaine sera définitivement éteinte, que les extraterrestres trouveront la plaque de Pioneer et qu’ils débarqueront sur une Terre où la nature aura repris ses droits dans la joie et dans la bonne humeur, il est fort probable qu’ils ne découvrent que des ruines de gratte-ciels, quelques carcasses d’avions et, éventuellement, des restes de sacs plastiques.
Heureusement pour notre postérité, Microsoft et le département d’ingénierie et de sciences informatiques de l’Université de Washington, associés à la start-up Twist Bioscience, œuvrent pour nous donner la chance de laisser quelques traces plus représentatives de notre passage sur la Planète bleue.
Un temps établi sous le nom de "Projet Palix", leur dessein consiste à faire progresser les recherches sur la création d’ADN synthétique capable de stocker, durant des milliers d’années, une très grande quantité de données, chose impossible avec nos disques durs ou disques optiques actuels.
Près de 200 Mo de données ont été stockées, dont un clip du groupe OK Go
La conservation d’informations sur de l’ADN recréé artificiellement est d'ailleurs aujourd’hui envisagée par le monde scientifique comme l’une des solutions les plus viables pour pallier le manque d’espace d’archivage auquel nous allons devoir faire face dans quelques générations.
Jeudi 7 juillet, les deux entreprises et le département de l’université ont annoncé être parvenus à stocker près de 200 Mo de données dans l’un de ces brins d’ADN synthétiques. Et pas n’importe lesquelles : un clip de 2010 du groupe de rock américain OK Go (connu pour ses vidéos ultra-créatives), 100 livres et la base de données de la réserve mondiale de semences Crop Trust, organisme fondé par l'ONU pour assurer la sauvegarde de notre diversité agricole.
Une capacité de stockage multipliée
Déjà en 2012, des chercheurs de l’école de médecine de Harvard avaient pu inscrire un livre entier dans de l’ADN ; l’année suivante, l’Institut européen de Bio-informatique avait copié 739 KB de données, dont 26 secondes du célèbre discours de Martin Luther King, "I Have A Dream" ; enfin, il y a quelques mois, c’est un extrait du "Voyage dans la Lune", film de Georges Méliès réalisé en 1902, qui a pu être transféré parmi 22 MB de données.
Si ce type de sauvegarde n’est donc pas nouveau, il s’agit pourtant là de la première fois qu’une si grande quantité d’informations a pu être encapsulée. "C’est mille fois plus que ce à quoi nous étiez parvenus l’année dernière. Montrer que nous étions capables d’appliquer nos méthodes à grande échelle était vraiment important pour nous", a confié à Mashable Luis Ceze, chercheur principal du projet et professeur agrégé d’informatique à l’Université de Washington.
Imiter la nature
Mais à quoi ressemblent ces futures armoires de l’humanité ? Il faut déjà imaginer que ces "brins" d’ADN, qui ne sont pas plus grands qu’une mine de crayon, sont composés des mêmes bases chimiques qui constituent l’acide désoxyribonucléique de tout organisme vivant : l'adénine (A), la cytosine (C), guanine (G) et la thymine (T), que l’on retrouve en motif répétitif.
Pour rendre compatibles des vidéos, des livres, des images ou des sons avec cet ADN, les chercheurs ont utilisé le principe du codage binaire. Ils ont ainsi converti chaque fichier en séquences de uns et de zéros, puis ont ensuite transposé ces suites de chiffres dans les lettres "A-C-G-T". Soyons honnêtes, même après explication, le résultat est toujours difficile à visualiser. Pour résumer, "nous sommes en train de cartographier un autre type d'information dans l'ADN. Ce même ADN qu’utilise déjà la nature pour stocker les informations sur un système de vie", explique Luis Ceze.
"Un milliard de GB de données tiendrait dans un petit cube"
Bon, mais fois "gravée" sur ce petit bout d’ADN sec, il faut aussi pouvoir regarder à nouveau cet ingénieux clip d’OK Go. C’est là qu’intervient la technique de l’amplification en chaîne par polymérase, qui permet déjà de décoder les génomes des plantes ou des animaux. Une fois la séquence retrouvée, il faut donc la reconvertir en suite binaire. Un vrai jeu d’enfant (on plaisante, hein).
Karin Strauss, chercheuse pour Microsoft Research, ne voit pour l'instant "aucune limite à cette science". "Un milliard de gigaoctets de données tiendrait dans un petit cube", affirme-t-elle. Dans cette logique, tout le Web accessible pourrait donc finir dans une boîte à chaussures. Il ne reste plus à espérer que les aliens tombent sur l'endroit du globe où la fameuse boîte sera cachée.
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