
Des militants pour la protection de l'enfance, parmi lesquels Ayda Hadizadeh et Lyes Louffok, manifestent devant l'Assemblée nationale, le 7 mai 2024, à Paris. © Ludovic Marin, AFP
Hasard du calendrier, l’Assemblée nationale a adopté, jeudi 11 décembre, en plein milieu d’un nouveau scandale lié à l’aide sociale à l’enfance (ASE), une proposition de loi socialiste visant à garantir un avocat à chaque enfant placé en famille d'accueil ou en foyer, ou suivi dans sa famille par des services sociaux.
Depuis deux jours circule une vidéo, montrant un enfant de huit ans, torse nu, assis sur une chaise, se faisant tondre la tête par une employée de son foyer éducatif parisien à des "fins évidentes d’humiliations", selon la Ville de Paris. Publiées par franceinfo, les images ont été tournées en février 2025 au foyer éducatif Jenner, géré par l’association Jean-Coxtet, dans le 13e arrondissement de Paris. Elles ont provoqué l’émotion de toute la classe politique et remis une nouvelle fois en lumière le drame humain que vivent des milliers d’enfants placés en France.
Le parquet de Paris a annoncé mardi avoir ouvert une enquête pour "violences volontaires sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité". Deux inspectrices de la Ville de Paris ont entamé un contrôle du foyer et la Défenseure des droits, Claire Hédon, a annoncé s'autosaisir, dénonçant une situation "épouvantable".
Le cas de cet enfant est pourtant loin d’être isolé. La députée socialiste Ayda Hadizadeh, rapporteure du texte adopté jeudi matin, a raconté comment le militant pour les droits des enfants Lyes Louffok, co-fondateur de l'association Comité de vigilance des enfants placés, lui avait décrit "l’enfer" de l’aide sociale à l’enfance : "les coups, les cris, les humiliations, les viols, les foyers qui manquent de bras, les familles d’accueil qu’on ne contrôle plus, les travailleurs sociaux qui s’épuisent et qui finissent par jeter l’éponge et ces enfants qu’on déplace comme des objets et qu’on finit par jeter dehors". Elle a également souligné que 12 enfants placés étaient morts en France depuis juillet 2024.
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Accepter Gérer mes choix"C’est Ayden, 7 ans – l’âge de mon fils –, affamée et battue à mort par sa famille d’accueil, que l’on retrouve dans un état cadavérique, l’oreille arrachée. C’est Abdel, 16 ans, qui meurt dans l’incendie de son hôtel, mais dont les services ne se rendent compte de sa disparition que deux semaines après. C’est Awa, 15 ans, qui meurt de solitude dans un appartement vide la veille de Noël. Et c’est Nicolas, 14 ans, handicapé, violé dans son foyer, déplacé, abandonné dans sa détresse, qui finit par s’armer d’un couteau, par agresser son enseignante et par retourner l’arme contre lui et se tuer", a rappelé la députée.
Un "impensé des politiques de l’enfance en France"
Le texte garantissant un avocat à chaque enfant sous mesure d’assistance éducative a été adopté par 269 des 270 députés présents (aucun vote contre, une abstention) et devra maintenant être inscrit à l’ordre du jour du Sénat.
"Je suis convaincu que cette mesure peut changer la vie des enfants placés car l’avocat peut agir comme un contre-pouvoir dans la relation que l’enfant entretient avec les familles, la justice ou les foyers. Si cet enfant [que l’on voit se faire tondre le crâne sur la vidéo publiée par franceinfo, NDLR] avait eu un avocat, les faits auraient été révélés bien plus tôt à l'autorité judiciaire et n’auraient même peut-être pas été commis", souligne auprès de France 24 Lyes Louffok, présent dans les tribunes du Palais Bourbon jeudi matin avec plusieurs dizaines d’anciens enfants de l’ASE et de la DDASS (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, ancêtre de l’ASE).
Cette avancée majeure ne réglera toutefois pas l’ensemble des problèmes, tant l’aide sociale à l’enfance est aujourd’hui à l’agonie. Des enquêtes journalistiques, des livres, des rapports parlementaires ont parfaitement documenté ces dernières années les travers d’un système à bout de souffle.
Le dernier en date, publié en avril 2025 par la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance et rédigée par la députée socialiste Isabelle Santiago, évoquait un "impensé des politiques de l’enfance en France" et appelait à "agir vite". "Ce rapport n’a pas vocation à être un simple état des lieux, mais un levier pour des réformes urgentes et nécessaires", pouvait-on lire dans son introduction, qui soulignait notamment que les près de 400 000 enfants et jeunes majeurs "bénéficiaires" de l’ASE ont 20 ans d’espérance de vie en moins par rapport au reste de la population.
15 000 enfants placés victimes de réseaux de prostitution
Abandon, maltraitance, violences physiques, verbales ou sexuelles… 49 % des enfants placés souffrent de troubles psychiques, selon un rapport de la Haute Autorité de santé cité par Isabelle Santiago, soit quatre fois plus que la moyenne nationale. De même, on estime à 15 000 le nombre d’enfants placés victimes de réseaux de prostitution. Et un sans domicile fixe (SDF) sur quatre en France serait issu de l’aide sociale à l’enfance, selon la Fondation pour le Logement des Défavorisés (ex-Fondation Abbé-Pierre).
"En réalité, c’est un système qui ne fonctionne plus, tout simplement. Et les politiques ne font rien car les enfants ne votent pas, ils n’ont pas de lobbying, et personne ne se fera élire sur des promesses en faveur de la protection de l’enfance. L’État renvoie la balle aux départements et les départements renvoient la balle à l’État. Ce sont des irresponsables", fustige Lyes Louffok.
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Accepter Gérer mes choixL’aide sociale à l’enfance est de la responsabilité des départements, qui y ont consacré 11 milliards d’euros en 2023. La Ville de Paris, à la fois commune et département, est ainsi sous le feu des critiques depuis la publication de la vidéo montre ce jeune enfant être tondu. Le sujet pourrait devenir une thématique majeure de la campagne des municipales à venir. Actuellement député, le candidat socialiste, Emmanuel Grégoire, a d’ailleurs fait voter dans la foulée du texte d’Ayda Hadizadeh une autre proposition de loi visant à protéger les mineurs isolés et notamment ceux vivant dans la rue.
La ministre de la Santé, Stéphanie Rist, a quant à elle déclaré jeudi à l’Assemblée nationale que la présentation d'un projet de loi sur la protection de l'enfance était prévue "au premier trimestre 2026". Mais déjà, Lyes Louffok se montre plutôt sceptique après avoir pu consulter une première ébauche, qu’il juge "pas à la hauteur des enjeux".
