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Et si le Brexit n’avait jamais lieu ?

Depuis le référendum en faveur d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, les dirigeants de l’UE pressent les autorités britanniques à entamer le processus de sortie. Or, un retournement de situation est encore possible.

Plus de 3,7 millions de personnes l’ont signée. Une pétition, devenue virale, demande au Parlement britannique d’organiser un second référendum sur le Brexit, signe que le résultat de la consultation du 23 juin a du mal à passer pour bon nombre de Britanniques.

Alors que les dirigeants de l’UE et des autres États membres, Français en tête, se font pressants pour que Londres mette en œuvre le divorce, les dirigeants britanniques eux n’y voient pas d’urgence. À Londres, le ministre des Finances George Osborne est intervenu juste avant l'ouverture de la Bourse pour déclarer que son pays n'entamerait le processus de sortie de l'Union européenne "que lorsque nous aurons une vision claire des nouveaux arrangements recherchés avec nos voisins européens". Pour le moins surprenant, les leaders du camp pro-Brexit, prolifiques durant la campagne, se sont montrés plutôt silencieux depuis les résultats. Comme s’ils jouaient la montre…

Un deuxième référendum ne sera peut-être pas nécessaire pour empêcher le Brexit. Quatre jours après l’onde de choc provoquée par les résultats, il s’avère que quitter l’UE n’est pas une mince affaire : de nombreuses étapes restent à franchir, sans réelle garantie de réussite. L’Union européenne compte en outre des antécédents en matière de référendums, dont la valeur n’est que consultative et non contraignante, qui finalement ont été contournés, comme notamment le référendum de 2005 en France sur la Constitution européenne qui a été revoté par le Congrès à Versailles sous la forme du traité de Lisbonne.

Déclencher le divorce : invoquer l’article 50
Les institutions européennes ont prévu une porte de sortie pour quitter l’UE : le fameux article 50 du traité de Lisbonne signé en 2007. Selon le texte, il revient à l’État membre de signifier au Conseil européen, composé des chefs d'État et de gouvernement des pays membres, son intention de quitter l'Union. S’ouvrira alors une période de négociations quant aux modalités de ce retrait qui pourra durer jusqu’à deux ans maximum. Mais le Premier ministre britannique David Cameron, pro-UE à l’origine du référendum et qui avait pourtant assuré qu’il enclencherait la procédure aussitôt les résultats connus, a fait savoir vendredi 24 juin en donnant sa démission, qu’il laisserait à son successeur le soin d’invoquer l’article 50, évoquant le mois d’octobre. Silence radio du camp pro-Brexit au sein duquel se trouvent les favoris à sa succession.

Selon un diplomate européen, cité par Reuters sous couvert d’anonymat, le Royaume-Uni pourrait ne "jamais" déclencher sa sortie de l'Union européenne malgré la victoire du Brexit au référendum. "Nous voulons que Londres déclenche l'article 50 maintenant, pour qu'il y ait de la clarté. Comme nous ne pouvons pas les y forcer, je m'attends à ce qu'ils prennent leur temps", a déclaré le diplomate. "Et je n'exclurais pas, c'est mon sentiment personnel, qu'ils puissent ne jamais le faire", a-t-il ajouté.

Quid de la pétition pour un second référendum ?
Même si le Parlement a supprimé plus de 70 000 signatures jugées frauduleuses, la pétition réclamant l’organisation d’une seconde consultation dépasse largement le cap des 100 000 signatures à partir duquel une pétition peut faire l’objet d’un débat au Parlement. En janvier dernier, les députés britanniques avaient par exemple débattu pendant trois heures de la possibilité d’interdire de séjour Donald Trump sur le territoire britannique après qu’une pétition a réuni 586 935 signatures. Selon Sophie Loussouarn, spécialiste de la Constitution britannique, "il se pourrait que la question de cette pétition soit abordée mercredi lors du Conseil des ministres". Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois qu’un même référendum sur l’UE est organisé deux fois. Au Danemark, pour le traité de Maastricht, le non l’avait emporté en 1992 et le oui en 1993.

Le Parlement britannique
Pour entériner la sortie de l’UE, le Parlement britannique devra voter certaines mesures. Or, il pourrait ignorer le référendum et bloquer la sortie de l’UE. Ce que l’exhorte à faire David Lammy, un député britannique du Labour. Dans un billet publié sur Twitter, il rappelle que le référendum était un vote "était consultatif et non contraignant". "Nous n’avons pas à faire cela, nous pouvons stopper cette folie par un vote du Parlement […]", écrit-il sur le réseau social.

Mais l’éventualité que le Parlement britannique bloque le Brexit est peu probable, selon Sophie Loussouarn, "pour l’heure, malgré les tergiversations, la classe politique britannique semble vouloir que le référendum soit respecté".

Wake up. We do not have to do this. We can stop this madness through a vote in Parliament. My statement below pic.twitter.com/V8f9Yo1TZd

— David Lammy (@DavidLammy) 25 juin 2016

Le facteur écossais
C’est plutôt de l’Écosse que pourrait venir le véritable obstacle au Brexit, selon l’experte. "La Première ministre écossaise a déjà menacé de bloquer la sortie du Royaume-Uni", rappelle-t-elle. En vertu des complexes accords qui confèrent certains pouvoirs au sein du Royaume-Uni à l'Écosse, au pays de Galles et à l'Irlande du Nord, les textes qui seront votés par le Parlement britannique pour donner force de loi au retrait de l'UE nécessiteront le feu vert des Parlements des trois régions. Or, l'Écosse, qui compte cinq millions d'habitants, s'est prononcée jeudi à 62 % pour le maintien dans l'UE lors du référendum organisé dans tout le Royaume-Uni, ce qui la place en porte-à-faux avec le reste du pays.

Nicola Sturgeon, dont le parti, le SNP (Parti national écossais) milite pour l'indépendance de l'Écosse et pour son appartenance à l'UE, a en outre affirmé qu’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse était "fortement probable", le contexte ayant changé. "La position de l’Écosse reste une inconnue et peut faire imploser le Royaume-Uni", observe Sophie Loussouarn.

Nicola Sturgeon résume la situation politique : " le Premier ministre qui a proposé le référendum se cache, ceux qui ont fait camapgne pour le Brexit n'ont aucun plan, et l'opposition implose."

PM & Chancellor who proposed #EUref are in hiding, those who campaigned for leave have no plan and the opposition is imploding. Disgraceful.

— Nicola Sturgeon (@NicolaSturgeon) 26 juin 2016

Divisions au sein de la classe politique britannique
Enfin, le résultat du 23 juin à entraîné une crise politique importante au sein de la classe politique britannique, qui freine également la mise en œuvre de la sortie de l’UE. "On ne voit pas de grand enthousiasme chez les eurosceptiques pour négocier avec l’UE", observe Sophie Loussouarn, qui souligne que l’on "sent chez Boris Johnson, favori pour succéder à Cameron, un grand embarras depuis le vote". Elle ajoute que les "conservateurs sont divisés, et le parti travailliste en désarroi depuis la démission de 12 membres du Shadow Cabinet". Alors que l’UE demande à Londres de prendre les choses en main, s’ouvre au Royaume-Uni "une période d’incertitude économique et politique, un plongeon dans l’inconnu".