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La campagne pour le "remain" face à l’impasse de l’immigration

À la veille du référendum sur le Brexit, la campagne en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne tente laborieusement de dépasser l’épineuse question de l’immigration.

Avoir remporté la Premier league au nez et à la barbe des cadors du championnat n’est pas la seule particularité de Leicester. Cette ville de l’est des Midlands s’illustre également par la position résolument pro-européenne de son personnel politique : son conseil municipal majoritairement travailliste est très largement partisan d’un maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne (UE), ainsi que ses deux députés, issus du même parti.

Malgré de tels soutiens, les militants du "Bremain" (contraction de "Britain" and "remain", rester, à la manière du "Brexit") peinent à convaincre les électeurs potentiels qui flânent dans le centre-ville à l’heure du déjeuner. L’argument de l’intérêt économique du Royaume-Uni à rester dans l’UE fait pâle figure face à la peur d’une immigration perçue comme incontrôlée dans cette ville où la moitié de la population en est issue.

Peu de gens semblent pleinement saisir le fonctionnement des institutions de l’UE. La plupart ignorent le nom de ceux qui les représentent au Parlement européen. La frustration, à l’égard de cette entité européenne méconnue est palpable. Comme l’inquiétude de ce qui vient, quelle que soit l’issue du référendum de jeudi.

Des plaies durables

L’un des quatre députés européens pour la région, Glennis Willmott, n’est pourtant rien moins que le chef du groupe des travaillistes britanniques à Bruxelles. France 24 l’a rencontré sous l’œil de la statue de Simon de Montfort, comte de Leicester, qui a fondé au XIIIe siècle le premier Parlement d’Angleterre. Il est considéré par certains, surtout ici, comme le père de la démocratie occidentale.

"Ce que nous accomplissons, et ce que l’UE signifie concrètement pour les gens, peuvent se révéler extrêmement difficile à expliquer", admet-elle en fustigeant toutefois une campagne du "leave" qui ne cherche qu’à "diviser" en plaçant l’immigration au cœur des débats. À l’image de l’affiche de campagne, dévoilée la semaine passée par le chef des eurosceptiques britanniques, Nigel Farage (UKIP), qui créé la polémique. "Point de rupture", prévenait le poster sur lequel figure une file de réfugiés à la frontière croate.

"Répugnant", crache Willmott. "L’obsession migratoire de la campagne du ‘Leave’, et cette affiche en particulier, fragmente durablement notre société. Quel que soit le résultat, jeudi, beaucoup de gens seront en colère. Cicatriser ces plaies sera difficile." En témoigne le récent meurtre, par un homme soupçonné d'avoir des sympathies néonazies, de Jo Cox, une députée pro-EU. "Quelque chose qu’aucun de nous n’aurait cru possible."

Pour le bien commun

L’eurodéputée a à cœur de montrer que les institutions de l’UE visent le bien commun, prenant comme exemple la directive européenne sur le temps de travail, qui a garanti pour la première fois en 2003 des congés payés pour tous les travailleurs des Etats-membres. Ou encore les lois obligeant les firmes pharmaceutiques à publier les résultats de leurs essais cliniques, même ceux ayant échoué. "Nous, les députés, cherchons toujours plus transparence. Nous créons les conditions d’une vie meilleure."

"Je sais que les gens ne font pas confiance à la Commission européenne, ni au Parlement, et qu’ils pensent que Bruxelles est envahie par les lobbyistes. Mais c’est le cas pour n’importe quelle démocratie. L’UE n’est pas parfaite mais nous ne pouvons pas la réformer si nous n’y sommes pas", plaide l’eurodéputée.

Elle aussi souligne que quitter le marché unique de l’UE, et ses 500 millions d’acheteurs potentiels, reviendrait à se suicider économiquement. Toyota, rappelle-t-elle, a enjoint ses employés de l’usine voisine de Derby à voter "Remain" (rester). Certes, la firme japonaise "ne quittera pas le Royaume-Uni du jour au lendemain, mais 90 % de leurs exportations vont vers l’UE, dont les consommateurs seront forcément refroidis par les droits de douanes s’appliquant aux voitures importées depuis l’extérieur de l’UE."

Quelques chiffres pour appuyer son propos : la majeure partie des 8,8 millions de livres (11,4 milliards d’euros) d’exportations de l’est des Midlands va à l’UE. Et la ville de Leicester elle-même a bénéficié de 350 millions de livres (455 millions d’euros) d’aides à la culture et au développement, en cinq ans, de la part de l’UE. "Partir serait un désastre pour nous et un désastre pour le reste de l’Europe."

"Car je suis Britannique"

Dans la rue, les militants eux-mêmes sont dans l’incertitude. Jyoti Patel, assistante sociale, est "pétrifiée" à l’idée que le camp du "Leave" puisse gagner et que personne, elle comprise, ne sache quelles conséquences aurait une telle décision à long terme. "Nous n’avons pas été correctement informés. Et les partisans du ‘Leave’ n’ont pas du plus expliqué clairement en quoi nous pourrions en bénéficier."

Un flou qui laisse indifférent Peter, un ancien soldat qui n’a donné que son prénom à France 24. Pour lui, l’argument économique ne tient pas. "Je me moque que des gens perdent des emplois, je me moque que l’économie tombe dans la récession. Je veux que l’immigration cesse", martèle-t-il en toisant les militants du "Remain" et leurs flyers.

L’un d’eux, Barry Fairbairn, qui dit être "l’une des rares personnes qui n’aime pas le football à Leicester", déplore que le débat autour du Brexit "ressemble trop souvent à celui concernant l’équipe à soutenir lors d’un match".

"Je trouve triste que les gens répondent ‘Car je suis Britannique’ lorsqu’on leur demande pourquoi ils vont voter ‘Leave’, soupire-t-il. Ils croient qu’ils protègent leur pays contre quelque chose. Quelque chose qui n’est pas leur ennemi."