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Pourquoi le père d'une victime des attentats du 13 novembre poursuit Twitter, Facebook et Google

Le père de Nohemi Gonzales, une Américaine tuée lors des attentats du 13 novembre à Paris, a déposé plainte contre Google, Twitter et Facebook, qu'il accuse d'avoir facilité le recrutement des terroristes.

Reynaldo Gonzales en veut à Google, Twitter et Facebook. Le père de Nohemi Gonzalez, la seule victime américaine des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, a déposé plainte contre ces trois géants de l’Internet, ont rapporté les médias américains mercredi 15 juin. Sa fille étudiait depuis un mois seulement dans une école de design à Sèvres (Hauts-de-Seine) au moment des attaques, au cours desquelles 129 personnes ont été tuées.

Aux yeux de ce père en deuil, des plateformes comme Twitter ou Youtube (propriété de Google) auraient laissé proliférer des comptes et des contenus de propagande terroriste sans prendre les mesures nécessaires pour endiguer ce flot de haine. Il leur reproche d’avoir apporté "en connaissance de cause [...] un soutien matériel clé à l'ascension du [mouvement terroriste État islamique (EI)]" ce qui aurait permis à ces jihadistes de mener "de nombreux attentats dont ceux du 13 novembre" 2015.

"Soutien matériel à l’ascension de l’EI"

Pour justifier sa plainte, Reynaldo Gonzales s’appuie sur un rapport du centre de recherches américain Brooking Institute qui a comptabilisé 70 000 comptes Twitter de sympathisants de l’EI, dont environ 80 sont décrits comme "officiels". L’EI a ainsi pu "utiliser les réseaux sociaux pour attirer des nouvelles recrues et inspirer des attentats isolés", ont conclu les auteurs de cette étude.

Dans des communiqués, Facebook et Twitter ont qualifié la plainte de "sans fondement". Google n’a pas souhaité commenter une affaire en cours. Mais les trois géants du Net ont, de concert, réaffirmé leur engagement dans la lutte contre les contenus haineux. "Nos équipes dans le monde entier vérifient activement tous les signalements de violations de nos règles, et travaillent avec les représentants des forces de l’ordre quand nécessaire", a ainsi assuré Twitter.

Les trois accusés vont probablement utiliser la même défense que dans une affaire similaire, engagée en janvier aux États-Unis, qui oppose Twitter à la veuve d’un Américain tué en Jordanie par un ancien officier de police jordanien radicalisé. Le réseau social de microblogging argue qu’en tant que simple plateforme technologique, il ne peut pas être tenu pour responsable des messages et contenus mis en ligne par ses utilisateurs.

C’est la règle du "safe harbor", qui découle d’une loi de 1996 sur les communications stipulant que "les fournisseurs d’un service informatique interactif ne peuvent pas être traités comme des éditeurs de contenus". Elle a "été utilisée avec succès dans des douzaines de cas par des plateformes de contenus aux États-Unis", souligne Eric Goldman, enseignant à l’université de Droit de Santa Clara aux États-Unis, interrogé par plusieurs médias américains à ce sujet.

De la neutralité des plateformes de réseaux sociaux

Mais cette affaire serait différente, assure Keith Altman, l’avocat de Reynaldo Gonzales. Selon lui, la plainte du père ne "vise pas tel ou tel message, mais le fait que ces plateformes offrent une solution technologique facilitant le recrutement" d’aspirants terroristes auprès de l'EI. En clair, la règle du "safe harbor" ne peut être invoquée car ces trois sites sont visés non pas en tant qu'éditeurs de contenus mais de fournisseurs de service.

Cette tentative d’éviter la protection de la réglementation de 1996 est intéressante, reconnaît Eric Goldman. Mais pas suffisante. Les trois groupes accusées peuvent invoquer "le principe de neutralité de leur outil technologique et arguer qu’ils ne sont pas responsables s'il est détourné de son objet initial par des utilisateurs", souligne Antoine Chéron, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies pour le cabinet ACBM Avocats. Le recrutement de terroriste ne fait nullement partie des fonctions de Youtube, Twitter ou Facebook.

Reste à savoir si Google, Twitter ou Facebook sont vraiment des plateformes neutres. L’avocat du père de la victime assure que non. Pour preuve : il a joint à la plainte une capture d’écran montrant que Google a placé une publicité sur une vidéo Youtube d’un sympathisant de l’EI. À travers la publicité ces réseaux sociaux joueraient "un rôle actif, éditorial et ne sont donc plus neutre", explique Antoine Chéron.

Pour l’avocat français, cet argumentaire a des chances de percer la défense des géants du Net. Si c’est le cas, cela ouvrirait la poste à d’autres recours en justice. "Dans le système juridique américain, la jurisprudence a force de loi. Une décision en faveur du père entraînera donc, je pense, une multitude d’actions collectives notamment des ayants-droits des victimes de la tuerie d’Orlando", estime ce juriste. Omar Mateen, le tueur de la boîte de nuit gay d’Orlando, est soupçonné de s’être radicalisé sur Internet et a posté des messages sur Facebook dénonçant les "mœurs sales de l’Occident".