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L’idée d’un revenu universel fait son chemin dans les pays riches

Alors que la Suisse s'est prononcée dimanche contre le revenu universel, d'autres pays occidentaux comme le Canada ou la Finlande comptent mettre en place des expérimentations similaires. Le débat devrait aussi animer la campagne de 2017 en France.

Les Français y sont en majorité favorables, selon un sondage BVA publié le 30 mai, mais pas les Suisses. Dimanche 5 juin, ces derniers ont rejeté via referendum l’instauration d’un revenu universel de base inconditionnel.

La proposition sur laquelle ils se sont prononcé visait à accorder 2 500 francs suisses (environ 2 260 euros) par mois à chaque citoyen, ainsi qu’aux étrangers présents sur le territoire helvétique depuis au moins cinq ans. Une perspective jugée non souhaitable par les Suisses qui ont été 78 % à la désapprouver.

Il faudra donc encore attendre pour voir un pays instaurer un revenu universel. Mais à défaut d’être en marche, l’histoire semble en tout cas être en cours d’élaboration. Outre la Suisse en effet, de plus en plus de pays riches ont soit lancé des initiatives ou des projets d’initiative, soit entamé une réflexion. Le Canada, la Finlande et les Pays-Bas ont déjà, à des degrés différents, avancé sur le sujet, tandis que le débat s’installe tout doucement en France.

Deux grandes tendances se dessinent. D'abord, la vision sociale qui promeut, grâce au revenu universel, une vie plus égalitaire, permettant à tous les citoyens de vivre convenablement. Ensuite, la vision libérale, qui avance qu’un tel revenu permettrait de se débarrasser de l’ensemble des prestations sociales actuellement en vigueur et de réduire le nombre de fonctionnaires chargés de les gérer, jugé excessif.

"C’est l’une des rares mesures économiques qui peut être à la fois très sociale et très libérale", résume ainsi dans Le Monde Yannick L’Horty, professeur à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée. Tour d’horizon des initiatives passées, en cours ou à venir.

 • Le Canada précurseur

La notion de revenu de base est loin d’être moderne. Les philosophes Thomas More, dès le XVIe siècle, et Thomas Paine, au XVIIIe siècle, l’évoquaient déjà. Des personnalités aussi différentes que Napoléon, Martin Luther King ou Milton Friedman ont également émis des idées similaires.

Mais l’unique expérimentation menée à une large échelle a été réalisée au Canada, sous l’appellation "Mincome" dans les années 1970. Durant cinq ans, le Manitoba a versé un revenu inconditionnel aux habitants de Winnipeg, Dauphin et de plusieurs contrées rurales de cette province canadienne. Stoppée en raison d’une alternance politique, cette expérimentation ne fut toutefois jamais évaluée dans son ensemble et aucun bilan, positif ou négatif, ne put être dressé.

Le Canada pourrait néanmoins avoir l’occasion dans les prochains mois d’analyser l’intérêt d’un revenu universel. La province de l’Ontario a ainsi annoncé, lors de la publication de son budget 2016, sa volonté d’expérimenter un revenu de base. Par ailleurs, le Parti libéral du Canada de Justin Trudeau, actuel Premier ministre, a voté lors de sa dernière convention nationale, fin mai, en faveur d’une résolution pour la création d’un revenu de base garanti.

 • La Finlande pas prête à tout bouleverser

Le gouvernement finlandais a annoncé fin novembre qu’il espérait verser un revenu de base de 800 euros par mois à un échantillon de sa population à partir de 2017. Son Premier ministre, Juha Sipilä, a confié au directeur de recherche de l’institution gérant les aides sociales en Finlande, Olli Kangas, le soin de travailler sur cette expérimentation et de faire des propositions d’ici novembre 2016.

Un premier rapport a été rendu fin mars. Celui-ci écarte finalement l’idée du grand bouleversement qui aurait vu un revenu universel remplacer l’ensemble des prestations sociales existantes. À la place, Olli Kangas opte plutôt pour un "revenu de base partiel" qui viendrait s’ajouter aux différentes aides sociales. Un rapport final devra être publié le 15 novembre. Le gouvernement finlandais devra ensuite décider des détails de l’expérimentation à mener : nombre de personnes concernées, montant du revenu, durée de l’expérience, localités ou régions concernées, etc.

 • Quatre villes néerlandaises décidées à avancer

Les villes d’Utrecht, Tilburg, Groningen et Wageningen, aux Pays-Bas, ont annoncé à l’été 2015 leur intention de proposer un revenu universel à certains de leurs habitants, mais elles se sont toutes les quatre vu opposer la législation néerlandaise qui laisse peu de place aux expérimentations. La ministre des Affaires sociales a donc demandé à ces quatre villes d’uniformiser leurs propositions avant de donner son autorisation.

Y parviendront-elles ? Tilburg veut par exemple mener une expérience pendant quatre années lorsque Utrecht ne compte le faire que durant une année seulement. Le montant du revenu, les personnes bénéficiaires et d’autres détails varient également en fonction des villes. La prochaine réunion avec la ministre des Affaires sociales est prévue en novembre. En attendant, le débat a pris de l’importance aux Pays-Bas et est régulièrement évoqué dans les médias.

 • Le débat lancé en France pour 2017 ?

En France, l’idée a déjà été avancée par plusieurs personnalités ou partis politiques. Christine Boutin, Dominique de Villepin, Europe-Écologie-Les-Verts ou plus récemment Frédéric Lefebvre ont fait des propositions en ce sens.

"C’est une question de bon sens mais qui devient maintenant une urgence compte tenu de l’évolution de la société, affirmait Frédéric Lefebvre, lors d’un entretien avec France 24, dimanche 3 janvier. Nous avons actuellement un système qui ne fonctionne plus. Depuis 40 ans, nous votons chaque année un budget en déficit. Or le seul moyen d’éradiquer la pauvreté avec un système moderne, c’est en inventant un nouveau modèle qui permettrait à chacun de se construire, de se former, de s’investir dans des projets et d’entreprendre. L’allocation universelle n’éloignerait pas les gens du travail comme peuvent le craindre certains. Au contraire, elle les en rapprocherait."

C’est aussi l’une des recommandations du rapport sur la réforme des minima sociaux du député de Saône-et-Loire Christophe Sirugue (PS), qui propose de fusionner l’ensemble des minima sociaux actuels (RSA, prime de solidarité, etc.) en une allocation unique de 400 euros. Celle-ci serait versée à partir de 18 ans sous conditions de ressources et augmentée pour certaines catégories de la population comme les chômeurs, les handicapés et les personnes âgées. À un an de l’élection présidentielle, le gouvernement ne devrait pas se lancer dans une telle expérimentation, mais la réflexion devrait avoir lieu. "Le revenu universel [est] une idée qu’il faut mettre dans le débat public", a d’ailleurs affirmé, mi-mai, le Premier ministre Manuels Valls, comme le rapporte Le Monde.