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Le Premier ministre a jugé, dimanche, que la demande de nationalité française de l'islamologue controversé Tariq Ramadan était "contradictoire" avec les valeurs de la République. Mais a-t-il le pouvoir de l'en empêcher ? Éléments de réponse.

Tariq Ramadan et Manuel Valls ne prendront pas de sitôt le thé ensemble. Le Premier ministre français a déclaré, dimanche 22 mai, sur Radio J, qu'il n'y avait "aucune raison" pour que l'islamologue controversé de nationalité suisse obtienne la nationalité française, comme il l'a demandée.

"Quand on aspire à être français, c'est qu'on aspire à partager des valeurs", a poursuivi Manuel Valls estimant que le discours "islamo-gauchiste" du prédicateur était "contradictoire" avec les valeurs de la République. Pire, ses propos formeraient, "le terreau de la violence et de la radicalisation".

Mais le chef du gouvernement peut-il réellement s’opposer à sa demande d’acquisition de la nationalité française ? "Pas si simple. Manuel Valls, lui-même, ne peut officiellement pas s’y opposer, mais les préfectures et le ministère de l’Intérieur, compétents dans le domaine le peuvent assurément, estime un juriste spécialiste des questions de la nationalité, car le droit français est flou en la matière. Rappelons d’ailleurs que l’acquisition de la nationalité française ne relève pas d’un droit mais d’une faveur de l’État."

Manuel Valls : au bon moment, au bon endroit! https://t.co/tL2QPtQyrl pic.twitter.com/b57SHAioq8

— Tariq Ramadan (@TariqRamadan) 22 mai 2016

"Manuel Valls n'a pas à se prononcer là-dessus", s'indigne Tariq Ramadan, contacté par France 24. Et il n'y a rien dans mes propos de contradictoire avec les valeurs de la République. Avant de préciser, c'est plutôt lui qui ne respecte pas les valeurs de la Constition française en matière de déchéance de la nationalité notamment. Il a d'aillleurs été contraint de faire marche arrière sur cette mesure".

"Je suis français de cœur"

Provocation ou acte militant ? Le 7 février, le théologien avait annoncé dans un article paru dans Libération qu’il comptait effectuer une demande d’acquisition de la nationalité française pour "envoyer un message" aux dirigeants prompts à débattre sur la déchéance de la nationalité. "C’est ma réponse à toute la classe politique qui est sourde à des propos qui sont tenus depuis vingt-cinq ans sur le terrain. […] On me dit depuis longtemps qu’il faut que je prenne la nationalité française, que je m’engage."

Et de poursuivre pour justifier le bien-fondé de sa démarche : "Toutes mes activités européennes se font à partir de Paris. Toute ma culture est francophone et je suis français de cœur. Ma femme est française et mes quatre enfants sont tous français. En Grande-Bretagne, j'ai voulu que ma fille étudie dans une école française". Un vibrant hommage qui ne suffira peut-être pas à devenir français.

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Dans les faits, le professeur d’Études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford peut devenir citoyen français en faisant une demande d’acquisition de la nationalité française "par déclaration" puisqu’il est marié à une française. Mais le mariage avec un Français n'a rien d’un sésame. Pour vivre comme citoyen sous les couleurs du drapeau tricolore, un candidat doit remplir un certain nombre de critères. Ces conditions portent sur la durée du mariage (trois ans pour les résidents français, cinq ans pour les couples résidant hors des frontières), l’obligation d’inscription au registre consulaire des Français établis hors de France, la nécessité de vivre entre époux en communauté de vie affective et matérielle, une connaissance suffisante de la langue française et l’absence de condamnation pénale. Un dernier point qui ne devrait pas poser de problème à Tariq Ramadan : si en 1995, le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua avait lancé une interdiction de séjour à son encontre, dans le contexte des attentats commis par le Groupe islamique armé (algérien) en France, celle-ci avait finalement été levée faute de motif suffisant. Théoriquement donc, rien ne fait obstacle à la demande du professeur musulman. Théoriquement.

Les valeurs de la République

Car dans la pratique, d’autres critères entrent en ligne de compte. "Le critère sur lequel l’État dispose d’une plus grande marche de manœuvre est le critère d’adhésion aux principes et aux valeurs de la République", explique à France 24 l’avocat Rémy Amsellem, expert en droit des étrangers et de la nationalité. "Depuis quatre ou cinq ans, avec la recrudescence des mariages blancs, les préfectures ont redoublé de vigilance et demandent désormais aux candidats, dans certains cas uniquement, d’adhérer aux valeurs de la République, comme cela est le cas pour les demandes de naturalisation", observe un autre avocat spécialiste de la nationalité française sous couvert d’anonymat.

À ce titre, certaines idées controversées du penseur, sur l’homosexualité notamment - vu comme un déséquilibre mental par exemple -, pourraient mettre en péril sa demande auprès des autorités. Et les nombreuses municipalités et associations où le professeur est persona non grata ne devraient pas jouer en sa faveur. Tariq Ramdan n’a en effet pas pu donner de conférence à Orléans le 13 mars, ni à Nice le 20 mars pour ses propos ambigus sur les juifs, les homosexuels ou sur ses positions concernant la laïcité. Alain Juppé s’est, en outre, fermement opposé à sa venue à Bordeaux le 27 mars 2016.

En cas d’échec de sa demande, Tariq Ramdadan pourra toujours porter un recours auprès du ministère de l’Intérieur puis devant le Tribunal administratif de Nantes et successivement devant la Cour d’appel de Paris, la Cour de Cassation et même la Cour européenne des droits de l’Homme. "Si je n'obtiens pas la nationalité, j'utiliserai les recours à ma disposition. J'irai jusqu'au bout de ma démarche", a confié le théologien, plus déterminé que jamais. Une démarche qui reste cependant pu fréquente comme le souligne l’avocat soucieux de préserver son anonymat. "De toute ma carrière, je n’ai jamais vu quelqu’un porter un refus de nationalité française devant la Cour européenne des droits de l’Homme, ce serait une première. Cela pourrait bien prendre 15 ans pour en arriver là". L’occasion peut-être pour le penseur de mettre en pratique les vertus de la patience.

"Si je n'obtiens pas la nationalité, j'utiliserai les recours à ma disposition. J'irai jusqu'au bout de ma démarche", a confié le théologien, déterminé, qui s'attèle pour l'heure à réunir les documents nécessaires.