De la communion lunaire au cognac russe, en passant par la vodka en tube et les projets avortés de sherry de la Nasa, les astronautes ont plus d'une fois été ivres dans l'espace. Retour sur plus d'un demi-siècle d'histoires spatiales alcoolisées.
En 1969, à des milliers de kilomètres de la Terre, l’un des premiers hommes à marcher sur la Lune, l'astronaute Buzz Aldrin, s’adonne à une cérémonie un peu particulière. Les deux pieds sur le sol lunaire grisâtre, il sort d’un emballage en plastique un peu de vin et un bout de pain, offerts par son église presbytérienne de Webster, près de Houston, aux États-Unis.
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Alors qu’il verse le breuvage dans un calice pour procéder à la communion, le vin se met à tournoyer dans la coupe et à en sortir lentement. Mais le manque de gravité sur le satellite de la Terre ne décourage pas le cosmonaute qui réussit à boire le précieux liquide. Une nouvelle page de l'histoire de la conquête spatiale vient de s'ouvrir : celle de l’alcool dans l’espace.
Du cognac russe à la prohibition internationale
En 1986, l’Union soviétique inaugure la station spatiale Mir, qui sera volontairement détruite en 2001. Et même dans l’espace, les Russes entendent bien respecter les traditions alcoolisées du pays.
Lors d’une conférence à Moscou en 2010, l'astronaute retraité Alexander Lazutkin, en mission sur Mir en 1997, a vendu la mèche et révélé que les astronautes russes n’hésitaient pas à s’envoyer un cognac ou une vodka de temps en temps. Il a même spécifié que les médecins soviétiques recommandaient à l'époque aux cosmonautes de consommer de l’alcool pour stimuler leurs systèmes immunitaires et se maintenir en forme.
Le petit plaisir des astronautes russes est rapidement compromis par la construction de la Station spatiale internationale, effective au début des années 2000, et dans laquelle l’alcool est strictement interdit. Mécontents de la prohibition instaurée par les Américains, on raconte que les Russes auraient toujours une ou deux bouteilles de cognac cachées dans les recoins de la station, en cas de nécessité.
Et pourtant, l’entente alcoolisée américano-soéviétique avait plutôt bien commencé. Le 17 juillet 1975, des astronautes russes et soviétiques se rencontrent en orbite lors de la mission Apollo-Soyouz. Pour fêter l’évènement, le cosmonaute Alexei Leonov propose de porter un toast. Il tend généreusement à ses homologues américains Thomas Stafford et Donald Slayton un tube sur lequel est écrit "vodka russe".
Embarrassés, les cosmonautes américains se saisissent tant bien que mal de l’étrange boisson et trinquent. Mais le breuvage n’est autre que du bortsch, un potage traditionnel slave. Bonne blague de l'équipage russe.
Pas de sherry au menu du Skylab
Si les Américains sont tendus sur les questions de beuveries spatiales, c’est que trois ans plus tôt, la Nasa a essuyé de nombreuses critiques après avoir envisagé de mettre du sherry, un vin liquoreux américain, au menu de sa première station spatiale Skylab.
Pour le lancement de la première station spatiale américaine, la Nasa veut que tout soit parfait. Elle charge Charles Bourland, ingénieur alimentaire pour l'agence spatiale, d’élaborer les menus des astronautes qui se rendront en orbite. Sans doute pour faire honneur à son nom aux consonnances françaises, le scientifique décide de mettre du vin rouge à la carte.
Dans son livre The Astronaut's Cookbook, il se souvient de l’épisode du sherry : "On m’a donné pour mission de sélectionner du vin pour les missions Skylab. C’était un projet intéressant pour les équipes du laboratoire de nourriture de la Nasa, nous n’avions pas de problème pour trouver des volontaires pour tester le produit !"
Les spécialistes se mettent d'accord. Le sherry, vin liquoreux stable et facilement manipulable, est finalement choisi pour ravitailler les astronautes en boisson. Les spécialistes du laboratoire de nourriture de la Nasa conçoivent un emballage spécial pour receuillir le brevage : une poche en plastique munie d’un tube modulable. Pour trinquer, rien de plus simple : l’astronaute n’a qu’à presser le sac pour faire sortie le liquide.
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Tout est prêt pour faire la fête au septième ciel. Mais après que le capitaine de la mission Gerald Paul Carr a fait fuiter l’info dans une conférence publique, le Milwaukee Journal publie en 1972 un article intitulé "L’ère de la prohibition bientôt abolie dans l’espace", en référence à la prohibition américaine des années 1930. Même si le vin serait à priori strictement rationné dans l'espace, la consommation d’alcool par les astronautes, considérés comme les héros exemplaires du siècle, n’est pas au goût de tout le monde.
Sous le feu des critiques, la Nasa rétropédale et interdit définitivement l’alcool dans la station spatiale, qui sera mise en orbite en 1973.
Les boissons alcolisées ne sont désormais autorisées dans l’espace que dans le cadre d’expérimentations scientifiques. Par exemple, une chercheuse américaine a brassé de la bière à bord d'un vaisseau spatial.
Le précieux sherry n’a pas pour autant été jeté au caniveau. Des petits chanceux du programme Smeat (Skylab Medical Experiment Altitude Test), la mission test de Skylab sur Terre, ont pu goûter le liquide, les menus étant déjà prêts pour les phases d'essais terrestres.
Les scandaleux fantasmes des années 2000
Les astronautes américains restent donc sobres jusqu’en 2007, année maudite pour la Nasa qui enchaîne les scandales : agressions sexuelles dans un vaisseau, sabotage,vol… C'est aussi à cette date que l’Agence spatiale américaine publie un rapport faisant état, "au moins à deux occasions", de cas impliquant des astronautes ivres en mission. Une nouvelle fois, les faits alcoolisés font polémique. La Nasa rappelle que la consommation d’alcool est strictement interdite dans l'espace.
Au milieu des années 2000, l’heure est au fantasme des voyages touristiques spatiaux. Et avec eux de la consommation d'alcool en apesanteur. En 2011, deux compagnies australiennes créent la bière Vostock – en référence au premier vol spatial habité, en 1961 – spécialement conçue pour être bue dans l’espace et permettre aux futurs touristes de profiter au mieux de leur sortie galactique. Les tests sont plus ou moins concluants, comme le montre cette vidéo.
En octobre 2014, le crash d’un de ses vaisseaux de Virgin Galactic, l'entreprise qui voulait démocratiser le tourisme spatial, fait un mort et un blessé grave. Avec ce nouvel échec, les espoirs d'apéro dans l'espace entre touristes s'amenuisent.
La grosse teuf est peut-être déjà en marche dans l'au-delà, mais pas de sitôt dans l'infini.
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