
Un groupe d’étudiants de Sciences Po Paris organise ce mercredi une "journée du hijab" au sein de l’école. Les réactions se multiplient entre colère, indignation et incompréhensions.
Les propos de Laurence Rossignol sur les femmes voilées comparables aux "nègres américains qui étaient pour l'esclavage" n'en finissent pas d'alimenter les polémiques. En réaction à la déclaration de la ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, des étudiants de Sciences Po ont eu l’idée d’organiser ce mercredi 20 avril une journée du voile, "un Hijab Day".
L’objectif de l’initiative : "démystifier le tissu", expliquent les organisatrices sur la page Facebook de l’événement.
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Il n’en fallait pas plus pour lancer une énième controverse sur le sujet. Sur les réseaux sociaux, les commentaires se multiplient, entre soutien à la démarche et critiques. Pour certains, cette journée est obscène.
Quand je pense au combat quotidien des femmes dans certains pays comme en Tunisie pour la liberté et le choix, ce #HijabDay est une offense
— Mabrouk Sonia (@SoMabrouk) 20 avril 2016
D'autres regrettent le préjugé colonialiste...
À quand la fin du préjugé colonialiste selon lequel les femmes voilées sont soumises à une autorité extérieure ? #HijabDay
— Samuel Grzybowski (@samgrzybowski) 19 avril 2016
... ou dénoncent le côté "deux poids deux mesures" des réactions :
Donc #TousEnKippa à l'assemblée c'est bien mais #HijabDay à science po c'est scandaleux pic.twitter.com/Yc4B5cEqGs
— Widad.K (@widadk) 20 avril 2016
Des internautes ont aussi directement interpeller l’administration pour exprimer leur indignation. "Le hijab day ne sera pas interdit à Sciences Po, cela ne signifie pas le soutien de l’administration à cette initiative", a répondu l’école dans un tweet.
Sciences po qui organise un #HijabDay c'est ça l'université la plus prestigieuse de Paris?? Dramatique décadence pauvre France !
— Michaël (@michael_a15) 20 avril 2016
Le corps de la femme est devenu un champ de bataille. Qu'on impose le foulard ou que l'on interdise, c'est la même injustice. #HijabDay
— Safa Bannani (@SafaBannani) 20 avril 2016
Du "Hijab Day" au "Whatever Day"
"L’idée c'était de redonner la parole aux premières concernées – les femmes voilées – au nom desquelles on parle dans les médias, on glose volontiers sur la signification de leur geste, celui de se voiler, mais jamais on ne les a interrogées. L'autre idée, c'était aussi d'inviter les personnes volontaires à se mettre dans la peau de ces femmes brimées pour leur choix", explique une des organisatrices, Nour A. (prénom modifié), étudiante en droit à Sciences Po.
#HijabDay à Sciences Po pic.twitter.com/VkSO8wv6PF
— Nacim (@Nacim_Bou) 20 avril 2016
Un objectif qui est loin de faire l'unanimité au sein de l'école. En effet, certains étudiants ont choisi d'ironiser sur le sujet en détournant l'intiative controversée. À côté du "Soutane Day" proposé par l'association parodique "FN Sciences Pöe", d'autres ont crée le "Whatever day à Sciences po : venez comme vous voulez" (en bikini, jupe ou robe) pour dénoncer le "prosélytisme" de la journée "Hijab Day".
L'étudiant à l'initiative du Whatever day, Maxime de Luca, en master de public management, explique avoir ressenti un certain malaise en apprenant l’organisation d’une journée du voile à Sciences Po. "Le format proposé par le Hijab Day est peu inclusif : certains ne veulent pas porter un signe religieux... Et ça n’a rien à voir avec le voile, on aurait fait pareil pour la kippa ou la croix", explique-t-il.
Quiproquo
Le "Whatever Day" a largement séduit les étudiants, en tout cas plus que le "Hijab Day" à en croire le nombre de personnes intéressés par l’événement sur Facebook. Pour lui, nombreux sont ceux qui ont perçu l’initiative comme prosélyte.
"Je pense que l’évènement est maladroit, que les mots ont mal été choisis". En cause : la mention dans la description de l'évènement Facebook du terme "décence", qui peut être interprêté au sens de "décence vestimentaire" (d'où la polémique) ou "décence" d'un débat sain.
Ainsi, Aminata Dia, étudiante à Sciences Po portant le voile, estime qu'il y a eu quiproquo : "Le terme de décence visait non pas l’apparence vestimentaire mais le discours intellectuel, ce qui est indécent c’est le discours de Madame Rossignol. On voulait dire à toutes les étudiantes de venir en minijupe si elles le souhaitent et avec un voile, pour normaliser ce tissu."
Stand du #HijabDay à Sciences Po. Avec une citation de Jay-Z ! pic.twitter.com/NqMSZNgn3Y
— Fatima (@FatiElo) 20 avril 2016
Les organisations politiques étudiantes ont majoritairement condamné le "Hijab Day". Le FN Sciences Po dénonce par exemple dans un communiqué "une folie bourgeoise" quand Romain Millard, président des Républicains voient dans l'organisation d'une journée du voile "une expérience culturelle à partager"... à laquelle il n'adhère pas, comme il l'explique au Figaro.
La controverse révèle une cristallisation des tensions en France
Depuis mardi, une pétition circule pour exiger l'annulation de la journée perçue comme "une provocation". Pour Nour A., la controverse révèle une cristallisation des tensions en France.
"Nous voulions nouer le dialogue et les auteurs des discours incendiaires n'avaient pas le même langage. Ils n'ont pas tenté de comprendre. Tandis qu'à Sciences Po, beaucoup de personnes sont venues nous rencontrer de leur plein gré".
Finalement, la polémique aura eu raison du débat. Bonne nouvelle malgré tout : les organisateurs du "Hijab Day" et du "Whatever Day" ont décidé de se réunir prochainement pour vraiment échanger.
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