
Une étude a permis d’isoler 13 adultes sains bien qu'ils aient porté une mutation génétique responsable de maladies héréditaires mortelles dans l’enfance. Ces veinards génétiques pourraient ouvrir des portes thérapeutiques… si on les retrouve.
Ces treize-là ne connaissent pas leur chance. Littéralement. Ils ont, sans le savoir, gagné au loto génétique : aucun d’eux n’aurait dû atteindre l’âge adulte et pourtant ils sont aujourd'hui en bonne santé. Des scientifiques américains ont effectué une étude d’une ampleur sans précédent sur le bagage génétique de près de 600 000 personnes afin, justement, de trouver ces perles rares : des individus sains alors qu’une mutation génétique aurait dû entraîner dans leur enfance une grave maladie génétique le plus souvent mortelle.
Leurs résultats, commentés dans un article de Nature Biotechnology, publié le lundi 11 avril, prouvent c'est chose faite. Les 13 personnes isolées par ces scientifiques auraient dû souffrir d’une de ces huit maladies génétiques : la mucoviscidose, le syndrome de Smith-Lemli-Opitz, la dystonie neurovégétative, l’épidermolyse bulleuse simple, le syndrome de Pfeiffer, la polyendocrinopathie auto-immune, la dysplasie campomélique et l’atélostéogenèse.
"Super-héros génétiques" ?
"Ce sont des maladies dont la pénétrance est proche de 100 %”, souligne Marc Delpech, chercheur au service de génétique et biologies moléculaires de Cochin. En clair, un individu atteint d’une mutation génétique à l’origine d’une de ces affections n’a théoriquement aucune chance d’en réchapper.
Sauf ces 13 personnes sur un échantillon de 600 000. La presse anglo-saxonne a eu tôt fait d'évoquer des "super héros génétiques" qui défient les lois scientifiques. Pas si vite : "Ils n’ont rien de super héros, vu qu’ils n’utilisent pas consciemment des capacités hors du commun. Ils n’y sont pour rien, s’ils ont eu cette chance”, souligne Marc Delpech.
La raison la plus vraisemblable à cette résistance est que quelque part dans leur patrimoine génétique, un autre gène mutant joue le rôle de compensateur et empêche la maladie de se déclarer. Le principe de gène compensateur “n’a rien de neuf, mais c’est la première fois qu’on isole scientifiquement des cas où un tel phénomène permet d’empêcher totalement la survenue de ces maladies particulières”, explique Olivier Hermine, chercheur à l’institut Imagine des maladies génétiques. Jusqu’alors les médecins avaient essentiellement observé des modifications génétiques qui atténuaient ou amplifiaient certains symptômes.
L’impasse
Les scientifiques américains à l’origine de l’étude n’ont pas entrepris cette quête uniquement pour prouver que quelques veinards génétiques existaient. Cette expérience doit “permettre de comprendre les mécanismes de résistance et d’ouvrir de nouvelles portes thérapeutiques”, souligne Olivier Hermine. Jusqu’à présent, les médecins cherchaient chez des patients malades un moyen de “réparer” le gène responsable ou des traitements pour en inhiber les effets. Dans le cas des huit maladies retenues pour cette étude, cette approche n’a, pour l’instant, pas permis d’élaborer des traitements efficaces.
Pourquoi, alors, ne pas plutôt s’intéresser à des patients sains et tenter de comprendre pourquoi la maladie ne s’est pas déclarée, s’est donc demandé le Dr Stephen Friend, professeur de biologie génétique à l’Icahn School of Medecine, qui est à l’origine de cette expérience. Il suffirait de trouver le gène compensateur pour essayer de répliquer ensuite chez des malades cette nouvelle mutation afin de les guérir ou d’améliorer leur sort…. En théorie.
Mais en pratique, ces scientifiques sont encore loin d’y arriver car ils sont dans une impasse. Les bouts de codes génétiques qu’ils ont analysés proviennent de bases de données qui sont, pour des raisons légales, rendues anonymes. “Ils sont coincés car pour aller plus loin, ils doivent retrouver les 13 personnes et obtenir leur consentement afin d’analyser l’intégralité de leur code ADN. Mais personne ne sait qui ils sont !”, explique Marc Delpech.
Appel à candidature
Il ne leur reste, en fait, plus qu’à tout recommencer, et cette fois-ci demander d’entrée de jeu un double consentement aux participants. Ces sujets sains doivent accepter que leur ADN soit examiné pour trouver d’éventuelles mutations qui auraient dû causer des maladies mortelles et ensuite accepter que l’intégralité de leur patrimoine génétique soit passé à la loupe pour, éventuellement, découvrir quel autre gène les a protégés de ce triste sort. L’Icahn School of Genomics vient, à cette fin, de lancer le Resilience Project dont le but est justement d’embaucher des volontaires.
Mais même si au moins 600 000 nouveaux “cobayes” acceptent de se mettre génétiquement à nu, le résultat n’est pas garanti. "Treize individus, qui ne sont pas en plus tous résistants à la même maladie, représentent un échantillon statistique très faible pour espérer découvrir un point commun", explique Marc Delpech. Olivier Hermine reconnaît que "la probabilité de trouver la solution est faible", mais cela ne l’empêche pas de conclure sur une note plus optimiste que "cette étude démontre qu’il n’y a pas de fatalité lorsqu’on est affecté d’une mutation génétique censée entraîner une de ces maladies".