Près d'un an après l'arrivée de Muhammadu Buhari à la tête du Nigeria, les forces gouvernementales ont repris le contrôle des environs de Maiduguri, jusqu'alors tenus par Boko Harma. Mais l'accalmie demeure précaire, estime le chercheur Léon Koungou.
Investi président du Nigeria en mai 2015, Muhammadu Buhari a fait de la lutte contre Boko Haram l’une de ses priorités. Près d’un an après son accession à la tête du pays, la situation sécuritaire s’est améliorée dans les zones de prédilection de la secte islamiste. À Maiduguri, ville de l'État de Borno, dans le Nord, considérée comme le fief historique de Boko Haram, l’autorité de l’État a été rétablie mais la population vit encore avec la menace d’attaques imminentes.
Sur le plateau de France 24, Léon Koungou, chercheur en sciences politiques et sécurité à l’université de Namur, tire un bilan de la lutte contre Boko Haram dans la sous-région.
France 24 : Comment est la situation sécuritaire à Maiduguri aujourd’hui ?
Léon Koungou : On peut dire qu’à Maiduguri, la situation se situe entre apocalypse et accalmie. Les populations vivent selon la stratégie opérationnelle de Boko Haram, qui est fluctuante. Malgré le regain de vitalité des forces étatiques impulsé par le président Muhammadu Buhari, en décembre 2015, plus d’une cinquantaine de personnes ont été tuées au cours d’une attaque. En février dernier, une autre offensive a fait à peu près 80 morts.
Que ce soit à la périphérie de Maiduguri, à Chibok ou à Bama, la population vit donc sous la psychose et sous le rythme imprimé par Boko Haram. Le mouvement donne l’impression qu’il maîtrise le calendrier des événements puisqu’il décrète des cessez-le-feu de manière unilatérale.
Mais de cessez-le-feu, il s’agit en réalité de périodes de répit, c’est-à-dire de ces laps de temps qui lui permettent de redéfinir sa stratégie opérationnelle et, surtout, de perfectionner sa tactique afin de revenir plus puissant.
En outre, l’autorité de l’État n’intervient que de manière intermittente, si bien que les autres acteurs que sont notamment les ONG ne peuvent pas assumer efficacement leurs actions face à la catastrophe sécuritaire.
Pourquoi Maiduguri est-elle si importante pour Boko Haram ?
C’est une ville importante du point de vue symbolique. Il ne faut perdre de vue que c’est là-bas, en 2002, qu’a été impulsé le mouvement et qu’il s’est forgé une âme. Les possibilités de recrutement y sont également aisées du fait des conditions de vie difficiles et de l’ancrage sociologique. Car la majorité des combattants de Boko Haram sont d’origine kanuri, c’est-à-dire des populations de l’ancien empire du Kanem-Borno qu’on trouve à Maiduguri, mais aussi dans certaines villes du Cameroun, du Niger et du Tchad.
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Et puis, du point de vue géopolitique, il faut souligner que Maiduguri est située à la frontière avec le Cameroun. Ce faisant, lorsque les forces gouvernementales montent en puissance, il y a toujours pour Boko Haram la possibilité d’opérer un retrait stratégique du côté camerounais pour y réorienter la stratégie.
Les forces nigérianes ont-elle les moyens à long terme de repousser Boko Haram ?
Sous l’impulsion du président Buhari, l’armée a repris du poil de la bête, l’autorité de l’État s’exerce de manière intermittente mais est assez efficace dans certaines villes aujourd’hui. Mais Boko Haram est une menace de dimension sous-régionale, il faut donc une mobilisation sous-régionale. Un début d’efficacité ne peut véritablement intervenir qu'avec des actions de concert entre les pays concernés. En mai 2014, lors du sommet de Paris consacré à la sécurité au Nigeria, il avait été question de mener des opérations conjointes mais aussi de partager les informations des renseignements. Depuis l’arrivée au pouvoir du général Buhari, ces décisions ont été prises en compte avec, notamment, la mise sur pied de la force internationale mixte dont le quartier général est basé à N’Djaména.
Cette force mixte qui comprend le Nigeria, le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Bénin est effective depuis six mois. Peut-on tirer un premier bilan de son action ?
Le bilan de cette force est positif au regard des espoirs qui avait été placés en elle. Si on parle aujourd’hui d’une accalmie à Maiduguri, c’est que Boko Haram a été mis sérieusement en difficulté ces derniers temps. Sur le plan opérationnel, la force a réellement fait ce qui s’imposait. Elle a été subdivisée en quatre secteurs militaires chapeautés par les différents pays de la force.
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Les blocages d’ordre politique qu’on a pu longtemps observer ont été levés : l’armée tchadienne a pu intervenir sur le territoire nigérian en février 2015, le Cameroun et le Nigeria ont mené une action de concert en février 2016 à Achigachia, ville nigériane qui était occupé par Boko Haram.
Mais ce qu’on peut regretter pour une opération comme celle-ci, c’est le manque de moyens financiers. Le 1er février dernier, lors du sommet de l’Union africaine consacrée à la lutte contre Boko Haram, les pays donateurs avaient fait une promesse de 250 millions de dollars. Le candidat Buhari, aujourd’hui président, avait promis 100 millions de dollars. Jusqu’à ce jour, il n’en a débloqué que 21 millions. La force souffre d’un déficit de moyens financiers. C’est l’obstacle majeur qu’il convient de déplorer aujourd’hui.