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Dans les coulisses des "Panama papers" à Washington

correspondante à Washington – Basé à Washington, le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) a coordonné l’enquête sur les "Panama Papers". France 24 s’est rendue dans les locaux de cette micro-rédaction habituée des gros coups.

Avec sa peinture beige et sa moquette grise, quelques vagues récompenses accrochées au mur et un tableau Velleda couvert d'obscurs schémas, le bureau de l’ICIJ (le Consortium international de journalistes d’investigation) ne paie pas de mine, à première vue. C’est pourtant ici qu’a été pilotée, en plein cœur de Washington, l’enquête sur les "Panama Papers" ou la fuite de documents financiers la plus importante de l’histoire.

Les locaux de l’ICIJ, où travaillent six employés à temps plein, sont presque vides, ce mardi 5 avril au matin, deux jours après la sortie de l’enquête qui a déjà provoqué la démission du Premier ministre islandais.

C’est un journaliste d’un quotidien allemand qui a fait appel à l’ICIJ, deux mois après qu’une source anonyme lui a remis, en février 2015, les 11,5 millions de documents du cabinet panaméen Mossack Fonseca. Le Consortium fondé en 1997 a acquis une solide expérience dans le traitement de données sur l’évasion fiscale, comme avec les Offshore Leaks ou les Swiss Leaks.

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"Notre premier travail a consisté à charger l’ensemble de ces informations sur un serveur sécurisé. Mais la taille des données était telle, leur nature si variée – photocopies de passeports, tableaux Excel, PDF, fichiers audio, photos… – et elles étaient si peu structurées que nous avons décidé de faire appel non seulement aux médias déjà membres du consortium, mais aussi à d’autres", raconte William Fitzgibbon, journaliste à l’ICIJ qui a notamment coordonné les rédactions africaines.

Les "Panama papers" ont failli s’appeler le "Offshore exposed"

"Notre critère de base pour choisir les journalistes, c’est d’abord d’avoir affaire à une personne sympa, car on essaie d’éviter les personnalités difficiles, admet-il en riant. Elle doit aussi s’engager à respecter un certain nombre de règles de confidentialité, il faut qu’on puisse lui faire confiance." Les journalistes doivent enfin s’accorder sur des détails non négligeables, comme la date de publication ou encore le titre de l’enquête. "Certains voulaient l’appeler 'Panama Leaks', d’autres 'Offshore exposed'", note William Fitzgibbon.

L’absence du Washington Post, qui avait pourtant déjà collaboré avec l’ICIJ par le passé, a été remarquée. "Je pense que cela a justement un rapport avec les critères de partenariat, explique William Fitzgibbon, très diplomate. Certains journalistes sont très excités par le concept de collaboration à travers les frontières. D’autres mettent plus de temps à être convaincus." Parmi les rares médias américains ayant participé à l'enquête, se trouvent les groupes de télévision Univision et Fusion ou encore le groupe de journaux McClatchy, qui a notamment sorti dans le Miami Herald une enquête sur l’immobilier en Floride.

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Quant à l’absence de grandes figures américaines parmi les noms cités dans l’enquête, le journaliste de l’ICIJ n’est pas dupe : "Cela ne veut pas dire que les Américains sont moins friands de paradis fiscaux. Mais c’est plutôt qu’ils ont d’autres possibilités pour créer des sociétés offshore. Il ne faut pas oublier que les 'Panama Papers' ne regroupent les données que d'un seul cabinet d’avocats."

Menaces contre des journaux d’Afrique et d’Amérique du Sud

Avec 370 journalistes, 107 médias et 70 pays, la recette d’une enquête réussie commence par l’organisation. "Nous avons passé beaucoup de temps au téléphone et sur Skype, raconte William Fitzgibbon. Il fallait parfois se lever à 3 heures du matin pour discuter."

Pour traiter les données, les data-journalistes de l’ICIJ ont créé un moteur de recherche auquel les collaborateurs du monde entier pouvaient accéder en tapant des mots-clés. "Ce qui est bien avec les 'Panama Papers', c’est qu’il y a énormément d’exemples flagrants. Au point que certaines histoires n’ont pas besoin d’expertise. Quand vous voyez un email d’un employé de Mossack Fonseca, où celui-ci admet avoir créé des sociétés pour le cousin de Bachar al-Assad sans réaliser qui il était pendant des années, on voit bien qu’une erreur a été commise [Rami Makhlouf, cousin de Bachar al-Assad et grand argentier du régime syrien a mis sa fortune dans des comptes offshore grâce à Mossack Fonseca, alors même qu'il était visé par des sanctions américaines, NDLR]", se souvient William Fitzgibbon.

Le cabinet Mossack Fonseca et les personnalités citées ont été sollicitées quelques semaines avant la sortie de l’enquête. "À Washington, nous n’avons pas reçu de menace particulière. Mais certains de nos partenaires, notamment en Afrique et en Amérique du Sud, ont été inquiétés", rapporte William Fitzgibbon. "Néanmoins, dans l’ensemble, les journalistes se sentent plus protégés dans une structure internationale que s’ils étaient seuls à mener l’enquête."

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Si l’ICIJ, chapeauté par le Center for Public Integrity et financé par des dons, n’a pas inventé la coopération internationale entre médias, il l’a tout de même portée à une échelle de masse. C’est aussi une manière différente de penser l’impact sur le public. "Si nous travaillons avec un journaliste en Ouganda, c’est parce qu’il sait ce qui est important dans son pays et comment raconter cette histoire à son audience locale."

Verra-t-on bientôt de nouvelles fuites de documents ? William Fitzgibbon ne dévoilera pas sur quoi porteront les prochains travaux du Consortium. Mais il ne serait pas étonnant de voir une nouvelle affaire éclater car, comme il l’a déjà constaté, "une fuite donne en général naissance à une autre"…