Neuf avocats, spécialisés dans la défense des droits des Kurdes, ont été arrêtés à Istanbul, mercredi 16 mars à l’aube pour des motifs encore non précisés. Le Barreau de Paris dénonce une action politique.
En Turquie, la guerre du président Erdogan contre le "terrorisme" n’épargne personne, pas même les avocats. Mercredi 16 mars, les forces de l’ordre turques ont procédé à une vingtaine d’interpellations, dont celles de neuf avocats de l'Association des avocats libertaires (OHO). Ils ont été arrêtés à Istanbul à l’aube pour des raisons qui n’ont pas encore été révélées, l’enquête étant assortie d’une "décision de confidentialité".
Une chose est sûre : ces avocats ne caressaient pas le gouvernement dans le sens du poil. L’OHO est connu pour son engagement dans la défense des Kurdes – une cause qui n’a pas grâce aux yeux des autorités turques. Ankara a une nouvelle fois été frappée, dimanche 13 mars par un attentat sanglant, revendiqué ce jeudi par les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK), un groupe radical proche du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Depuis leur arrestation, les neuf avocats sont maintenus en garde-à-vue. Prévues pour 48 heures, les garde-à-vue peuvent être prolongées de 96 heures supplémentaires en cas de soupçons de liens avec une "entreprise terroriste", un motif que les soutiens des prévenus redoutent de voir invoqué.
Élargir la notion de terrorisme
Actif défenseur des droits de l’Homme, Ramazan Demir fait partie des avocats interpellés. "Les brigades d’intervention sont arrivées chez lui à 6 heures du matin. Ils ont perquisitionné, son appartement a été mis à sac", confie à France 24 Clarisse Kilic, avocate au barreau d’Istanbul et collaboratrice de Me Demir.
L’avocat a fait parler de lui après avoir saisi la Cour européenne des droits de l’Homme, en février, pour faire évacuer des civils pris au piège dans les sous-sols de Cizre, ville du sud-est de la Turquie. La région à majorité kurde est le théâtre depuis huit mois de la guerre que se livrent à huis clos l’armée turque et les rebelles armés du PKK. Depuis, la défense des droits des Kurdes est devenue quasi impossible en Turquie. "Après son action pour les civils de Cizre, Ramaza a reçu de nombreuses menaces, notamment sur les réseaux sociaux. Sous couvert de terrorisme, les avocats engagés sont devenus des cibles de choix", poursuit la juriste.
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Dès qu’il prend la parole, le président Recep Tayyip Erdogan martèle que son "État ne renoncera jamais à faire usage de son droit à la légitime défense contre toute menace terroriste". À ces fins, et pour donner une assise légale à son action, il plaide pour que la définition juridique de "crimes terroristes" en Turquie soit élargie.
Les bâtonniers français réclament justice
En France, la Conférence des bâtonniers a dénoncé mercredi la "persécution" dont sont victimes leurs collègues en Turquie. "Ces avocats sont les victimes d'une véritable persécution : l'État turc tente de les bâillonner parce qu'ils ne font qu'assurer la défense d'opposants politiques", a déploré dans un communiqué la Conférence, qui regroupe les 160 bâtonniers de France.
Soutenu dans sa démarche par le Barreau de Paris, la Conférence "s'inquiète légitimement de ces nouvelles arrestations" après l'assassinat non encore élucidé du bâtonnier de Diyarbakir, Tahir Elçi. Également engagé en faveur de la cause kurde, il a été tué par balles le 28 novembre 2015.
Les bâtonniers français "appellent le gouvernement français à intervenir auprès de l'État turc pour que cessent ces atteintes à l'exercice professionnel des avocats et ces violations des droits de l'Homme et de la défense". Un appel qui résonne d’autant plus fort que devait se tenir à Istanbul, ce jeudi 17 mars, un vaste procès contre un groupe d’avocats, accusés d’avoir défendu les avocats d’Abdullah Öcalan, leader kurde et ennemi public numéro 1 en Turquie, incarcéré depuis 1999. Mais les avocats de la défense sont justement ceux qui ont été arrêtés mercredi… Le procès a donc été suspendu et la justice quant à elle, elle se mord la queue.