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Depuis le 1er mars, les sympathisants démocrates résidant en France peuvent désigner leur candidat par Internet. Mais ce week-end certains ont préféré se rendre à l'American University of Paris pour voter. Comme une vraie primaire. Reportage.

"D’abord on vote, ensuite on prend l’autocollant !" Chose promise, chose due : après avoir glissé son bulletin dans l’urne, Katherine se voit remettre un "sticker" bleu-blanc-rouge sur lequel est inscrit "I voted!" ("A voté !"). Certains, plus chanceux, ont carrément reçu un badge. Mais ce n’est pas pour glaner de menus gadgets que les sympathisants démocrates résidant en France ont fait le déplacement, samedi 5 mars, jusqu’à l’American University of Paris (AUP), où ils étaient invités à désigner leur candidat pour la présidentielle de novembre. "C’est important de venir à cette primaire car, même si je vis en France depuis neuf ans, je veux que ma voix continue de compter, affirme Anna, professeur d’histoire de l’art. D’autant que je retournerai peut-être aux États-Unis et que mes enfants y séjourneront sûrement."

"Cette élection 2016 est cruciale, il faut que les démocrates gagnent, assure de son côté Margit, une native de Baltimore arrivée en France il y a 50 ans. Avant, je votais par correspondance à New York, mais le parti nous a fait comprendre qu’il était important de montrer qu’on se mobilisait aussi depuis l’étranger."

"C’est agréable de se retrouver et de papoter"

Contrairement au camp républicain, le Parti démocrate s’est depuis longtemps organisé pour que ses sympathisants expatriés puissent être représentés comme tels lors de l’investiture de leur candidat. Sur les 4 483 délégués qui se réuniront à la convention du parti du 25 au 28 juillet à Philadelphie, 17 s’exprimeront au nom des "Democrats Abroad", c’est-à-dire les "Démocrates de l’étranger".

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Cette année, la formation dispose de 150 centres de vote à travers le monde, dont sept en France (Aix-en-Provence, Avignon, Bordeaux, Caen, Nice, Paris, Strasbourg) qui ont ouvert leurs portes ce week-end. Il serait des milliers dans l'Hexagone à s’être inscrits pour le scrutin, mais consigne a été donnée de ne délivrer aucun chiffre précis. "On ne sait pas bien pourquoi", dit-on au bureau parisien sis dans le très cossu VIIe arrondissement. Vendredi, 200 d’entre eux ont en tout cas fait le déplacement à l’AUP. Les assesseurs mobilisés pour ces deux jours de consultation partisane en attendaient davantage samedi.

Bien qu’ils aient la possibilité de voter sur internet depuis le 1er mars, beaucoup ont fait le choix de glisser leur bulletin dans une urne non virtuelle. Pour ces Américains vivant les primaires depuis l’étranger, exprimer sa voix dans un bureau de vote est surtout un moyen d’être en prise direct avec la vie politique de leur pays. "C’est toujours agréable de se retrouver et de papoter sur l’actualité", commente dans un français impeccable Douglas Glucroft, l’un des bénévoles affectés à la bonne tenue du scrutin dans les locaux de l’American University.

Étudiants, employés de multinationale, jeunes parents et retraités sont visiblement heureux de se retrouver autour d’un événement commun. L’ambiance est bon enfant, loin des empoignades auxquelles se livrent par médias et réseaux sociaux interposés les partisans d’Hillary Clinton et ceux de Bernie Sanders. "C’est bien qu’il y ait de la concurrence dans cette primaire. Au moins les idées circulent et cela montre qu’il y a un réel intérêt pour la politique", résume diplomatiquement Douglas.

"Moi, le mot ‘socialiste’ ne me fait pas peur"

Si elle devait écouter son cœur comme elle dit, Katherine, 24 ans dont 18 passés en France, voterait pour le sénateur du Vermont dont le programme ancré à gauche est parvenu à séduire le jeune électorat démocrate. " Sanders a œuvré pour changer la perception que les États-Unis ont du socialisme. Je crains toutefois que certains au sein même du parti, comme mes parents, ne soient pas prêts à voter pour quelqu’un comme lui. Mais au moins a-t-il fait pencher Clinton vers la gauche."

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En dépit des appels lancés par les partisans d’Hillary Clinton à voter pour celle qu'ils considèrent comme la seule à pouvoir faire barrage aux républicains, Anna soutient bec et ongles le challenger de la primaire démocrate. "Sanders représente ce vers quoi les démocrates devraient se diriger. Et moi, le mot ‘socialiste’ ne me fait pas peur. Peut-être par ce que je vis en France…" De son côté, Margit a beau ne pas être supportrice de la première heure de l’ancienne First Lady, elle a choisi de "voter utile par rapport à ce qu’il y a en face…"

"Trump, une catastrophe pour la planète"

"Ce qu’il y a en face", voilà ce qui préoccupe le plus les électeurs démocrates. Pro-Sanders ou pro-Clinton partagent au moins une chose : une profonde aversion pour Donald Trump, le favori de l’autre camp. "Quand on voit ce qui se passe côté républicain, c’est comme si on regardait un film d’horreur !", lâche Katherine. "Nous sommes tous ahuris de voir que Trump pourrait représenter le Parti républicain. S’il gagne la présidentielle, ce serait une catastrophe pour la planète, s’alarme Margit, qui, en tant que binationale, vote également pour les élections françaises. En France, la situation est compliquée mais il y a peu de risque de voir un fou prendre la tête du pays."

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Depuis que le magnat de l’immobilier engrange les victoires à la primaire républicaine, les électeurs démocrates se disent de plus en plus inquiets pour la suite des événements. Pour beaucoup, le succès du multimillionnaire risque non seulement de dynamiter le Grand Old Party mais également de pourrir le débat politique aux États-Unis. "Cela fait peur à voir, je suis cette élection avec beaucoup de nervosité", confesse Katherine. "Je n’ai jamais été autant collée à l’information", avoue Margit qui, à l’instar des autres sympathisants expatriés, dit suivre l’actualité américaine sur les médias US. Même si la presse française suit de très près le processus.

"Je m’étonne toujours du niveau d’intérêt que les Français portent aux primaires et à la présidentielle américaine, alors que l’inverse n’est pas vrai, remarque Douglas. En fait, je pense que les Américains amusent toujours les médias français, qui ont une vision de la politique américaine parfois caricaturale. Mais bon, cette année, avec Donald Trump comment ne pas l'être puisqu’il est lui-même une caricature."