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Non, les réformateurs iraniens n'ont pas gagné les élections du 26 février

Ils ont été salués comme les vainqueurs des élections organisées en Iran le 26 février. Mais contrairement aux apparences, les réformateurs n'ont pas gagné. Seul le camp du président Rohani, qu'ils ont soutenu, a connu un succès relatif.

Les élections législatives qui se sont déroulées en Iran le 26 février ont provoqué un apparent rééquilibrage des pouvoirs dans le pays, à même de réduire la mainmise sur le pouvoir des ultraconservateurs qui étaient jusqu’ici majoritaires au Majlis (Parlement).

Appuyés par les réformateurs, les modérés du président Hassan Rohani, qui souhaitent moderniser la République islamique et ouvrir le pays au monde, ont renforcé leur présence au Parlement même s’ils n’ont pas obtenu la majorité des 290 sièges en jeu.

Dès lors, de nombreux médias occidentaux se sont empressés de saluer une victoire éclatante du président Rohani et des réformateurs sur le camp conservateur, qui reste lui intraitable sur les fondements du système politique issu de la Révolution de 1979. Une conclusion simplificatrice loin de refléter une réalité politique plus complexe.

Victoire relative des modérés

S’ils soulignent qu’une évolution importante a eu lieu avec ce recentrage de la scène politique iranienne, les experts et les observateurs restent extrêmement mesurés. Ils préfèrent évoquer un succès relatif des modérés, plutôt qu’une victoire des réformateurs.

"Le Parlement qui résulte des législatives n’est pas réformateur, comme on l’entend dire ici ou là, puisqu’il ne faut pas oublier qu’un nombre infime de réformateurs a été autorisé à se présenter aux élections, tout en sachant que dans beaucoup de villes de province, il n’y avait même pas de candidats issus de ce camp", relativise Azadeh Kian, professeure en sociologie politique à l'université Paris VII, spécialiste de l'Iran, interrogée par France 24.

Les leaders, les figures de premier plan et même les seconds couteaux du camp réformateur ont été massivement écartés du scrutin par le Conseil des gardiens de la Constitution, qui a un droit de veto sur les candidatures, et les quelques candidats présentés étaient inconnus du grand public. En province, pour faire barrage aux ultraconservateurs, ils ont parfois été obligés de soutenir une liste par défaut ou de faire alliance avec des candidats souvent aux antipodes de leur ligne politique. Voire dans certains cas, d’appeler à voter en faveur de personnages qui les ont activement combattus dans le passé.

"L'électeur iranien, celui de la capitale ou de quelques grandes villes, ne se faisait pas d’illusion sur les candidats", explique à France 24 Fereydoun Khavand, maître de conférences à l’université Paris V. "Pragmatique, entre le pire et le moindre mal, il a opté pour le moindre mal, ce qui a permis à la modération de l’emporter."

Des candidats au passé sulfureux

À Téhéran, la liste du camp de Hassan Rohani, qui regroupait conservateurs et réformateurs modérés et qui a remporté l’ensemble des 30 sièges de la capitale, comportait des noms loin d’être compatibles avec les idéaux des réformateurs. Parmi eux, les conservateurs Kazem Jalali et Behrouz Nemati avaient adopté, rappelle le journal britannique The Guardian, des positions extrêmement dures contre les manifestants pro-réformateurs du mouvement vert de 2009, qu’ils avaient accusés de mener des activités "séditieuses".

Interrogé par le journal britannique, Sadegh Zibakalam, un éminent intellectuel proche des réformateurs reconnaît un certain malaise. "Nous n’avions pas le choix (…). Hélas nous avons dû choisir entre le moins mauvais et le pire", concède-t-il.

Des profils aussi sulfureux se sont retrouvés sur les listes présentées aux élections destinées à renouveler l'Assemblée des experts, chargée de nommer le Guide suprême, et qui, restera aux mains des conservateurs.

Ainsi, toujours à Téhéran, la liste du camp Rohani, qui a enregistré un succès symbolique en barrant la route à deux barons ultraconservateurs, comprenait deux anciens ministres des Renseignements, Ghorban Ali Dorri Najafabadi et Mohammad Reyshahri. Lorsqu’il était au gouvernement (1997-2000), le premier a vu certains de ses agents accusés d’avoir assassiné des dissidents et des intellectuels. Le second a été sanctionné par l’Union européenne en avril 2011 à cause de "violations sérieuses des droits de l’Homme".

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En province, un des candidats soutenus par les réformateurs, Ali Fallahian, lui aussi ministre des Renseignements (1989-1997), avait été visé en 1992 par un mandat d’arrêt lancé par un procureur allemand à la suite d’un attentat dans un restaurant berlinois qui avait fait quatre morts. Il est également  recherché par Interpol pour son implication présumée dans l’attentat contre un centre juif à Buenos Aires en 1994. Défait dans les urnes, il ne siègera pas au sein de l’Assemblée des experts.

Autant d’éléments à même de tempérer l’enthousiasme de ceux qui ont perçu un virage politique majeur dans un pays où l'ayatollah Ali Khamenei, 76 ans, reste la plus haute autorité du pays et décide des grands axes de la politique intérieure et internationale.

"Si le poids des ultraconservateurs va s’alléger et qu’il y aura peut-être plus de tolérance, il ne faut pas penser que les portes des prisons politiques vont s’ouvrir et qu’une liberté d’expression absolue régnera, on est très loin", indique à France 24 François Géré, directeur de l'Institut français d'analyses stratégiques (Ifas) et spécialiste de l'Iran.

Et de conclure : "Il faut garder à l’esprit que le président Hassan Rohani est certes un modéré, mais c’est bien un conservateur modéré qui veut bouger les lignes dans son pays, dans le respect des institutions existantes".