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Élections iraniennes : quand la frontière entre réformateurs et conservateurs se brouille

Pour tenter de l'emporter, vendredi, lors de l'élection des députés et de l'Assemblée des experts, les réformateurs iraniens ont fait alliance avec leurs rivaux conservateurs. Ce vote marque l’avènement d’un "centrisme iranien modéré et pragmatique".

Candidater coûte que coûte, quitte à faire d'énormes compromis : c’est le crédo du nouveau centre iranien, lors de ces élections législatives et de l'Assemblée des experts, qui se tiennent vendredi 26 février. 

Les réformateurs n’avaient pas le choix : la plupart de leurs candidatures ont été invalidées le 10 février par le puissant Conseil des Gardiens. À la hâte, ils ont dû recomposer de nouvelles listes, après avoir épluché au peigne fin CV et programmes, notamment ceux des candidats étiquetés conservateurs, afin de sélectionner les moins radicaux qui seraient susceptibles de devenir de nouveaux alliés.

Ces listes, parfois appelées "Espoir", ont été communiquées à un maximum des 55 millions d’électeurs pour les motiver à se rendre aux urnes et voter même si leurs candidats réformateurs traditionnels avaient été écartés. Les consignes de vote ont été diffusées grâce à un moteur de recherche intégré à Telegram, une application pour smartphones. Les électeurs n’avaient plus qu’à entrer le nom de leur ville, et le moteur de recherche élaboré pour l’occasion leur proposait le nom du candidat "le moins pire".

Avènement d’un "centrisme iranien modéré et pragmatique"

Cette campagne électorale marque donc un véritable tournant. Alors que le paysage politique iranien a été divisé jusqu'alors en deux camps distincts, le pays assiste désormais à l'avènement d’un "centrisme iranien modéré et pragmatique", composé à la fois de personnalités réformatrices mais aussi de figures conservatrices historiques. Les rivaux d’hier ainsi réunis ont pour point commun de soutenir l’accord sur le nucléaire et les réformes économiques du président modéré Hassan Rohani.

"Ce mouvement vers un centre s’est esquissé à partir de juin 2013 avec l’élection de Rohani", explique Azadeh Kian, professeure en Sociologie politique à l'Université Paris VII- Diderot. "Aujourd’hui, il prend une ampleur sans précédent. Les deux pôles traditionnels, les conservateurs d’un côté et les réformistes de l’autre, ont alimenté chacun à leur tour le centre, lui fournissant des personnalités et des idées."

La crainte du chaos

L’arrestation en 2011 de l'ancien Premier ministre Mir Hossein Moussavi et du politicien Mehdi Karoubi, leaders désignés du "Mouvement vert", puis l’emprisonnement de nombreux soutiens intellectuels des réformistes à la suite de l’élection du président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinjad en 2009 ont poussé le mouvement progressiste, plus radical à l’époque, à faire des concessions pour continuer d’exister, explique Azadeh Kian. D’autant plus que la répression sanglante des manifestations contestant les résultats de cette élection a été traumatisante pour la population. Cet épisode a effrayé beaucoup des électeurs et sympathisants réformateurs.

"Ils ne souhaitent pas voir la violence entrer dans le jeu politique en Iran. Marqués par le sort des sociétés civiles en Irak ou en Syrie, ils craignent d’abord et avant tout une situation chaotique qu’ils veulent éviter à tout prix", analyse la spécialiste de l’Iran. "Les réformateurs se sont questionnés sur la faisabilité des réformes radicales et ne sont plus convaincus qu’il faille affronter directement les institutions conservatrices du pays."

C’est un même pragmatisme qui a attiré au centre de l’échiquier politique un certain nombre de personnalités conservatrices iraniennes devenues "modérées" comme Ali Larijani, chef du Parlement iranien. Pur traditionnaliste, il a apporté un soutien sans faille à l’accord sur le nucléaire, provoquant les foudres des ultraconservateurs depuis plusieurs mois. Pour ces élections, il a décidé de créer une liste indépendante, s’affranchissant de ses anciens alliés.

"Il a été poussé vers le centre par les ultras de son propre camp qui sont restés figés contre le programme de Rohani et l’accord sur le nucléaire", analyse Azadeh Kian. "Comme lui, il arrive que des politiciens se rallient aux modérés par opportunisme ou parce qu’ils sont conscients de leur impopularité et sentent bien que l’écart se creuse entre la société et les représentants politiques iraniens."

Voyant poindre le danger d’une stratégie du centre pour leur camp, des figures ultraconservatrices ont réagi et condamné ce qu'ils ont appelé le geste du "bulletin négatif". Sans doute pour humilier leurs concurrents modérés, ils ont aussi crié à une "infiltration" du paysage politique iranien par les États-Unis et par la BBC, la chaîne étant considérée par les conservateurs comme le bras médiatique de la propagande britannique en Iran. Des arguments qui trouvent encore écho auprès des classes populaires.