
D’un côté, les syndicats et une majorité de la gauche, de l’autre, le patronat et une partie de la droite : le projet de loi Travail s’annonce comme l'ultime grande bataille de François Hollande. Décryptage.
Ce n’est pas une mince prouesse : un gouvernement socialiste qui obtient l’unité syndicale contre lui. Les neuf centrales syndicales de salariés et d’étudiants se sont élevées ensemble, mercredi 24 février, contre le projet de réforme du code du travail. Elles ont tout particulièrement remontées contre le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif.
Mais ce vaste texte, dont le contenu a été dévoilé mercredi 17 février par Les Échos, contient une multitude de mesures polémiques qui sont autant de points d’accroche pour tous ceux - notamment à gauche - qui cherchent à régler des comptes avec l’équipe au pouvoir.
Les opposants au projet porté par la ministre du Travail Myriam El Khomri sont médiatiquement très présents. Mais cette réforme a aussi des soutiens… et pas seulement au sein du gouvernement – qui a poussé l’opération de com’ jusqu’à ouvrir un site internet pour défendre le texte. Pour trouver les "amis" de la loi El Khomri, mieux vaut tourner son regard vers la droite, vers le monde de l’entreprise et vers Berlin. Revue de détail de forces en présence et de leurs arguments.
Ils soutiennent le gouvernement et la réforme :
Raymond Soubie. Le très influent ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy a délivré un satisfecit global au projet de réforme. Histoire de jeter un peu d’huile sur le feu de la discorde à gauche, Raymond Soubie a aussi défendu un recours à l’article 49.3 pour éviter que les "experts du Parti socialiste, forts compétents en matière de droit du travail" ne s’amusent à "détricoter le texte". L’utilisation possible de l’article 49.3, qui permet de faire voter un texte sans offrir la possibilité de soumettre des amendements, a été brandie par Myriam El Khomri. Mais d’autres ministres – Jean-Marc Ayrault et Ségolène Royal notamment – ont rapidement écarté cette hypothèse. Même le président François Hollande, depuis la Polynésie, a insisté sur la nécessité de trouver un compromis. La ministre du Travail a finalement dû ravaler son 49.3. C’est dire si le sujet est sensible.
D’autres ténors de la droite se délectent également de voir un gouvernement de gauche reprendre "en partie les propositions des Républicains", note le député sarkozyste Éric Woerth. L’ancien Premier ministre François Fillon a lui aussi assuré qu’il était "naturellement prêt à soutenir le texte".
Pierre Gattaz. Le patron des patrons français est content. Il juge que la réforme "va dans le bon sens". Plus précisément, le président du Medef assure que les propositions du gouvernement socialiste permettront de "faire baisser la double peur, celle des patrons d’embaucher et des salariés de se faire licencier".
Cette remarque vise les réformes qui faciliteront le recours aux licenciements économiques et instaureront un plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement illégal à 15 mois de salaires (alors qu’il n’y a pas de limite actuellement). Pour le Medef, ces deux mesures permettront de "déverrouiller" le marché du travail, ce qui devrait, par ricochet, faciliter le retour à l’emploi d’une personne qui a été licenciée.
Berlin. Andrea Nahles, ministre allemande de l’Emploi et des Affaires sociales, a jugé le texte "bon, juste et courageux". Ce soutien est une bonne nouvelle pour Myriam El Khomri car Andrea Nahles est l’une des étoiles montantes de la SPD, l’équivalent allemand du Parti socialiste. La ministre d’Angela Merkel a même poussé l’éloge plus loin en vantant expressément les mérites du "compte personnel d’activité", l’une des innovations de cette réforme.
Cette nouveauté permettrait au salarié de regrouper dans un même panier une série de droits qu’il acquiert tout au long de sa carrière et qu’il pourrait emmener avec lui même s'il change d’employeur. Le salarié garderait ainsi les droits à des heures de formations et il pourrait même conserver une mutuelle d’entreprise.
Ils s’opposent au gouvernement et à la réforme :
Les syndicats. La CFDT, la CFE-CGC, la CGT, FSU, Solidaires-Sud, l'Unsa, l'Unef (étudiants) et les syndicats lycéens UNL et Fidl ne veulent pas entendre parler du plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement illégal.
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Pourquoi concentrer leur colère sur ce point précis ? Il illustrerait la volonté d'accroître "le pouvoir unilatéral de l’employeur", assurent les syndicalistes dans un communiqué commun. Il ouvrirait selon eux la porte à des licenciements illégaux qui ne coûteraient, au final, pas grand chose à des multinationales aux coffres bien garnis.
Martine Aubry, Benoît Hamon et Daniel Cohn-Bendit. Trois figures de la gauche ont cosigné dans Le Monde un virulent réquisitoire contre la politique du gouvernement. Un long texte qui réserve une place de choix au projet de réforme du code du travail.
"Les salariés vont subir un chantage permanent" de la part des employeurs, prédisent ainsi les auteurs de la tribune. Ils font référence à la mesure qui instaurerait la possibilité d’avoir recours à des référendums dans l’entreprise, et qui permettrait de trancher un désaccord entre les syndicats et l’employeur. Pour les détracteurs de la réforme, c’est un coup dur porté au syndicalisme en entreprise. À leurs yeux, cela offrira un moyen direct à la direction pour faire pression sur les salariés.
Pour le reste, le texte reprend les principaux arguments soutenus ces derniers jours par Jean-Luc Mélenchon, le parti communiste et la frange la plus à gauche du Parti socialiste.
Jean-Christophe Cambadélis. La valse hésitation du patron du Parti socialiste en dit long sur le désarroi des troupes de gauche face à la loi El Khomri. Jean-Christophe Cambadélis a tout d’abord assuré qu’il "aurait du mal" à voter "le texte en l’état". Il avait jugé, sur BFM-TV le 19 février, que le projet devait être "amélioré" et qu’il faisait la part trop belle à la flexibilité pour l’employeur sans offrir suffisamment de sécurité au salarié.
Quelques jours plus tard, le secrétaire national du PS avait mis un peu de solidarité gouvernementale dans son vin. Il a appelé sur TF1 le gouvernement et les syndicats à négocier ensemble afin de rapprocher les points de vue. Il a reconnu que les articles sur le licenciement économique "étaient flous" mais a approuvé des dispositions comme le "compte personnel d’activité".