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Combattants malgré eux, les enfants bourreaux de l’organisation État islamique

Alors que le 12 février a été décrétée Journée internationale des enfants- soldats, la multiplication des mineurs enrôlés, malgré eux, dans les rangs de l’organisation de l'État islamique en Syrie et en Irak pose un défi majeur aux pays occidentaux.

Le 10 février, l’organisation État islamique (EI) publiait une nouvelle vidéo de propagande tournée dans le désert, aux environs de Raqqa, le fief du groupe terroriste en Syrie. Aux côtés d’un jihadiste, un enfant de 4 ans, en treillis, un bandeau avec la chahada (profession de foi) de l’EI sur sa tignasse bouclée de cheveux noirs.

Le garçonnet reste impassible tandis que son aîné adresse un message menaçant au Royaume-Uni, expliquant, visage masqué, que le père de l'enfant – un Britannique venu combattre en Syrie - a été tué par des tirs de drones. Le jihadiste aurait été dénoncé par des espions, arrêtés par l’EI, qu’on aperçoit en arrière-plan en tenue orange, enfermés dans une voiture. La mise en scène – trop – familière laisse peu de doute sur le sort qui attend les quatre hommes.

Mais l’horreur étant sans limite, c’est l’enfant qui se charge de venger son père. On le voit appuyer sur un bouton, déclenchant, suppose-t-on, la bombe qui fait exploser la voiture une seconde plus tard. Dans un saut jubilatoire, le petit crie "Allah Ouakbar", avant de s’élancer dans le désert, sourire aux lèvres. D’après les médias britanniques, il s’agit d’Isa Dare, un jeune britannique emmené en Syrie il y a deux ans par sa mère fanatisée. Il était déjà apparu début janvier dans une vidéo où il appelait à tuer tous les "kuffar", les mécréants.

Enfants-soldats : un terme générique

Bourreau malgré lui, Isa Dare fait partie de ces nombreux enfants mis en avant dans des vidéos de propagande de l’EI. S’il est peu probable qu’il ait déjà pris les armes pour combattre sur le front - les plus jeunes combattants actifs auraient plutôt 14 ou 15 ans -, Isa est néanmoins considéré comme un "enfant-soldat", tel que défini par l’Unicef, organisme à l’initiative de la Journée internationale des enfants-soldats, fixée au 12 février.

[Journée Mondiale des enfants soldats] STOP au recrutement d'enfants dans les forces armées ! #EnfantsPasSoldats RT pic.twitter.com/jXysoVKBqm

— UNICEF France (@UNICEF_france) 12 Février 2016

"Derrière ce terme générique 'enfant-soldat', se cache une dure réalité. Qu’ils soient témoins des conflits ou forcés d'y prendre part, ces enfants et adolescents sont avant tout des victimes : réduits à la servilité, violentés, abusés sexuellement, exploités, blessés…", écrit l’Unicef dans un communiqué. L’organisation onusienne, qui se bat pour leur libération et leur réinsertion dans la société civile, ne documente cependant pas l’enrôlement des enfants dans les rangs de l’EI, "faute d’informations disponibles", explique une chargée de communication de l’Unicef interrogée par France 24.

Les chiffres manquent, en effet, pour évaluer le nombre d’enfants qui se trouvent actuellement en Syrie et en Irak entre les mains de l’EI. Mais leur présence et leur utilisation par le groupe n’est plus à démontrer.

"Assurer la relève" et "humilier l’ennemi"

En novembre 2014, France 24 décryptait la première vidéo de propagande montrant un camp d’entraînement militaire pour enfants. Filmée à Ninive, dans la région de Mossoul, en Irak, elle montrait des dizaines d’enfants - orphelins recueillis par les mosquées locales ou fils de jihadistes - formés au combat au corps-à-corps ainsi qu’au maniement des armes et explosifs.

"Au-delà de la propagande, qui est la fonction première de ces vidéos, les jihadistes estiment qu’ils sont une société en guerre et qu’il est normal de former leurs enfants à l’art guerrier", expliquait alors Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements jihadistes. La pratique est commune à une multitude de groupes combattants : le Hamas palestinen, le Hezbollah libanais, les Farc colombiens ou encore Al-Qaïda et les Taliban ont entraîné leurs enfants à devenir des guerriers.

Les jihadistes de l'EI montrent également qu’ils s’inscrivent dans la durée. "S’ils sont tous tués, la relève est assurée selon eux. Ils montrent ainsi qu’il forment un État combattant et que le combat pourra se perpétuer sur plusieurs générations", poursuit Wassim Nasr. Efficace instrument de peur et d’humiliation, les vidéos mettant en scène des enfants en train de tuer et torturer se sont multipliées depuis.

En janvier 2015, l’une d’elle montrait deux enfants en train d'abattre des hommes présentés comme des agents russes. En mars 2015, une autre mettait en scène un cousin de Mohamed Merah avec son beau-fils d’une douzaine d’années exécutant un soi-disant agent des services secrets israéliens. "Quelle humiliation pour l’ennemi à qui on dit : ‘même un enfant – qui plus est, un des vôtres - peut tuer vos agents issus des armées les plus puissantes !", ajoute Wassim Nasr.

Un nouveau défi pour l’Occident

La "chair fraîche" ne manque pas. Les combattants étrangers sont de plus en plus nombreux à partir en famille ou à s’établir sur place, posant de nouveaux défis à la communauté internationale. Que faire de ces enfants quand leurs parents rentrent dans leur pays d’origine ? Et comment les prendre en charge si leurs parents sont tués au combat ?

L’Australie est aux prises avec ces questionnements alors qu’un couple tente de récupérer ses cinq petits-enfants, emmenés en Syrie par leurs parents qui y ont perdu la vie. D’après les médias nationaux, le père, Khaled Sharrouf, a été tué au combat en 2015 tandis que la mère, Tara Nettleton, est décédée des suites d’une maladie en septembre, à Raqqa. Khaled Sharrouf s’était fait connaître, durant l’été 2014, en postant sur les réseaux sociaux une photo de son fils de 10 ans arborant la tête d’un soldat syrien décapité. "Ça, c’est mon fils !", avait commenté le père avec fierté.

>> À lire sur France 24 : "Un État peut-il tuer ses ressortissants au nom de l'antiterrorisme ?"

"L’Australie se demande quoi faire d’eux. Il faut déjà savoir si quelqu’un peut aller les chercher, si les jihadistes vont les laisser partir, si les enfants élevés par des combattants de l’EI sont une menace pour les autres en Australie, etc… La question va se décliner pour tous les pays occidentaux", estime Wassim Nasr. D’autant que ces derniers sont impliqués dans les frappes en Syrie et sont susceptibles de tuer leurs propres ressortissants.

En septembre 2015, David Cameron admettait devant le Parlement que son pays avait tué deux combattants britanniques lors de frappes aériennes. "Mais il y a des enfants et des familles derrière", rappelle Wassim Nasr : "Les démocraties occidentales ont-elles les structures et les moyens pour les récupérer ? Va-t-on mettre tous les orphelins dans des foyers ? Et que faisons-nous des enfants qui ont commis des exactions ? Allons-nous créer des centres de radicalisation pour des enfants de 4 ans ?" s’interroge le journaliste. Autant de questions qui méritent un débat public.