!["Spotlight" : le film plaidoyer pour le journalisme d'investigation "Spotlight" : le film plaidoyer pour le journalisme d'investigation](/data/posts/2022/07/21/1658381319_Spotlight-le-film-plaidoyer-pour-le-journalisme-d-investigation.jpg)
Dans "Spotlight", Tom McCarthy fait revivre de l’intérieur l’enquête du Boston Globe qui mit au jour en 2002 un réseau de prêtres américains pédophiles. Un thriller efficace qui confine au vibrant plaidoyer pour le journalisme d’investigation.
Par manque d’imagination ou d’audace, les grands studios hollywoodiens paraissent de plus en plus réticents à produire des films qui ne sont pas "inspirés de fait réels". Vies d’hommes et de femmes illustres, événements historiques, affaires criminelles… toute histoire est bonne à porter sur grand écran pour peu qu’elle soit vraie. Seules les innombrables suites franchisées ("Star Wars", "Mission Impossible", Rocky avec le récent "Creed") ou les grosses productions mettant en scène des super héros (à peu près tout ce qui finit en "-man") semblent aujourd’hui échapper à cette exigence d'authenticité.
Les protagonistes de "Spotlight" ne sont ni supers ni héros mais journalistes. De vrais journalistes ayant travaillé dans un vrai quotidien, le Boston Globe (dont la rubrique d'investigation est baptisée "Spotlight"). Leur fait d’armes – car il en faut tout de même un – est d’avoir mis au jour l’un des plus grands scandales que l’Église catholique ait récemment connu : celui de ces dizaines de prêtres américains qui se sont rendus coupables, pendant des décennies, d’abus sexuels sur des mineurs. On s’en souvient, lorsqu’elle sortit des rotatives en 2002, l’affaire eut un retentissement international. Du fait du nombre d’ecclésiastiques impliqués mais aussi, et surtout, de la protection dont ces derniers avaient pu bénéficier de la part d’une hiérarchie adepte de la loi du silence.
Dans une ville majoritairement catholique comme Boston où, de l’aveu même d’un policier, "personne ne veut mettre des menottes à un prêtre", les investigations ne furent toutefois pas simples à mener. Omerta, archidiocèse procédurier, pressions de la communauté catholique, justice récalcitrante, auto-censure médiatique… Avant de décrocher le prix Pulitzer, l’enquête nécessita 12 mois de travail acharné de la part de ses auteurs.
Révélations, rebondissements, chausse-trappes
Tout cela, le réalisateur Tom McCarthy le fait revivre de l'intérieur, sans afféterie ni fanfaronnade et avec ce qu’il faut de révélations, de rebondissements et de chausse-trappes. Dans la peau des journalistes, Michael Keaton, Rachel McAdams, Mark Ruffalo et Brian d’Arcy James délivrent une prestation tout aussi juste. De fait, on regarde "Spotlight" comme on lirait une passionnante enquête journalistique : avec le sentiment d’avoir affaire à un boulot bien fait, propre et sérieux. Dans la droite ligne des "Hommes du président", le film sur le Watergate qui fait référence en la matière.
Au-delà du récit - captivant - de l’enquête, cet efficace thriller sonne comme un vibrant plaidoyer pour un journalisme qui prend son temps, ne cède pas à la précipitation et préfère œuvrer pour la vérité que pour le bruit médiatique. Nous sommes avant l’avènement d’Internet et le papier a (encore) de la valeur. C’est, du moins, ce dont est persuadé Marty Baron (Liev Schreiber, excellent), le nouveau patron du Boston Globe qui constitue, de loin, le personnage le plus intéressant du film.
Débauché d’un quotidien de Miami pour relancer une publication aux ventes moribondes, cet homme froid et distant débarque à la rédaction précédé d'une réputation de tueur qui tranche autant dans le vif que dans les effectifs. Mais plutôt que de contraindre ses équipes "à faire plus avec moins", Marty Baron pousse le quotidien à redevenir ce qu’il était avant de s’endormir gentiment sur ses lauriers : un journal d’investigation.
"Les hommes passent mais la foi reste"
C’est lui qui, le premier, a l’intuition que les quelques premiers prêtres condamnés pour pédophilie ne sont pas que des brebis galeuses mais bien la partie visible d’un vaste "système" de crimes sexuels couverts par l’archidiocèse de Boston mais aussi, il le découvrira plus tard, la police, le pouvoir en place et les associations catholiques. Il aura donc fallu le discernement d’un homme de presse n’appartenant pas à la communauté - un "étranger" de confession juive comme aiment à le rappeler insidieusement ses détracteurs - pour qu’une ville entière finisse par découvrir, effarée, l’horreur qu’elle s’était refusée à voir. Tel un corps exogène introduit dans un organisme malade en vue de l’assainir, Marty Baron agit en révélateur des maux d'une société trop longtemps repliée sur elle-même pour pouvoir se guérir.
Jamais les journalistes du Boston Globe, pour la plupart croyants, n’ont voulu pointer du doigt une religion. Tout au plus ont-ils voulu dénoncer les agissements d’une "institution" obsédée par le culte du secret. Bien qu’ébranlés par leurs découvertes, ils ne remettront finalement pas en cause leurs convictions religieuses. Comme le dit un prêtre défroqué qui les aidera à avancer dans leur enquête : "Les hommes passent mais la foi reste".
-"Spotlight", de Tom McCarthy, avec Michael Keaton, Rachel McAdams, Mark Ruffalo, Liev Schreiber, John Slattery... 2h08.