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L'état d'urgence pourrait être prolongé au-delà du 26 février. Alors qu'une majorité de Français soutiennent cette mesure, beaucoup de défenseurs des droits de l'Homme craignent son impact sur les libertés individuelles.
La prolongation de l'état d'urgence en France au-delà de la fin du mois de février est "tout à fait probable", a expliqué François Hollande aux présidents des deux assemblées lors d’une rencontre mercredi 20 janvier.
Votée à la quasi-unanimité par le Parlement au lendemain des attentats du 13 novembre, la première prolongation de l'état d'urgence pour trois mois, au-delà des 12 jours initiaux, devait normalement expirer le 26 février. Cet état d'urgence, qui renforce notamment les pouvoirs de la police et permet les assignations à résidence, les perquisitions administratives de jour comme de nuit ou l'interdiction de rassemblements, suscite un vif débat. Entre préservation des libertés et impératifs sécuritaires, l’équilibre est difficile à préserver et la question divise aussi bien la classe politique que la classe intellectuelle.
"On doit la sécurité au Français"
Au sein de la population, les Français disent soutenir cette mesure. Selon un récent sondage Yougov pour iTélé et le Huffington Post publié mercredi 13 janvier, près de sept Français sur dix (69 %) se déclarent favorables à la prolongation de l'état d'urgence au-delà du 26 février. Deux mois après les attentats de Paris et de Saint-Denis, les autorités s’appuient donc sur l’opinion publique. Pour le Premier ministre Manuel Valls, l’état d’urgence doit ainsi continuer car un "pays a aussi besoin de se sentir rassuré".
L’Élysée estime également que la prolongation s’impose car le risque de nouvelles attaques est important. Le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a ainsi évoqué "une menace terroriste toujours à un niveau exceptionnellement élevé". Interrogé à ce sujet, le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis s’est lui aussi montré ouvert à une prolongation, s'appuyant sur ces mêmes arguments. "On doit la sécurité aux Français. Imaginez qu’il y ait un attentat dans quinze jours et qu’on ait levé l’état d’urgence. Qu’est ce qu’on nous dirait ?", a-t-il déclaré sur l’antenne de BFM TV.
Le gouvernement met aussi en avant les avancées obtenues ces dernières semaines sur le terrain de l’antiterrorisme. Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a expliqué dans une interview au journal La Croix que l’état d’urgence avait ainsi permis de procéder "en deux mois à plus de 3 000 perquisitions […] qui ont permis la saisie de 500 armes, dont 50 armes de guerre". Cette mesure a en outre entraîné "400 interpellations qui ont débouché sur 52 incarcérations". Se félicitant de ces résultats, le ministre estime qu’il ne faut "pas se priver des outils utiles" et qu’il faut donc "ajuster le dispositif en continu pour être efficaces".
Enfin, selon l’exécutif, il est nécessaire de prolonger l’état d’urgence en attendant les réformes du code de procédure pénale. Avec le nouveau code, le gouvernement entend "renforcer de façon pérenne les outils et moyens mis à la disposition des autorités administratives et judiciaires, en dehors du cadre temporaire de l'état d'urgence", instauré après les attentats parisiens. Il est pour l’instant "soumis à l’examen du Conseil d’État, avant son adoption en conseil des ministres, début février, et sa présentation au Parlement", selon Matignon. Son contenu fait tout autant débat. Le pouvoir en place est en effet accusé de vouloir graver l’état d’urgence dans le marbre de la constitution.
Des résultats bien maigres
Les réticences contre cette mesure s'expriment surtout dans les rangs des écologistes et de l'extrême gauche, qui jugent ce régime liberticide. Les opposants à l’état d’urgence critiquent tout d’abord ses faibles résultats, contrairement à ce que laissent entendre les autorités. Sur le site Atlantico, le criminologue Xavier Raufer, directeur des études au département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II parle même "d’esbroufe". Pour lui, la menace a eu "une forte efficacité symbolique et pédagogique, pendant à peu près une semaine. Après, les bandits et/ou les terroristes ont compris et les perquisitions ne donnent plus grand-chose. Surtout quand, comme cela a été le cas, la police cible des bandits, braqueurs, gros trafiquants de drogue etc. Les résultats de l'état d'urgence en matière proprement antiterroriste ont été maigres", a-t-il résumé.
Un avis partagé par Pierre Tartakoswky, le président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) qui a directement saisi le Conseil d’État pour suspendre cette mesure. "La police a profité d’une aubaine pour régler ses comptes, mettre hors d’état de nuire un ou deux délinquants… mais ça n’a rien à voir avec une lutte efficace avec le terrorisme", a-t-il déclaré sur Europe 1. Plusieurs dérives lors des perquisitions ont aussi été relayées dans les médias. "Des personnes ont été perquisitionnées alors que c’était la porte du voisin. Des fillettes ont été blessées. On se rappelle de l’affaire Pepper Grill où une porte ouverte a été enfoncée au bélier", a ainsi dénoncé sur l’antenne de France Inter, un autre membre de la LDH, l’avocat Patrice Spinosi.
>> À lire sur France 24 : Un "dispositif de contrôle" parlementaire pour surveiller l'état d'urgence
Des restrictions excessives
Sur le plan international, ces craintes sont également celles d'experts de l'ONU en droits de l'Homme. Cinq d’entre eux ont directement demandé à la France de ne pas prolonger l'état d'urgence, estimant qu'il imposait des "restrictions excessives et disproportionnées sur les libertés fondamentales". Pour garantir l'état de droit et prévenir des procédures arbitraires, les experts recommandent l'exercice d'un contrôle judiciaire préalable sur les mesures antiterroristes. Or la loi sur l'état d'urgence, qui élargit temporairement les pouvoirs de l'exécutif notamment dans la lutte contre le terrorisme, "ne permet un contrôle judiciaire qu'a posteriori", déplorent-ils.
Ces rapporteurs de l’ONU trouvent par ailleurs "particulièrement alarmant que des militants écologistes aient pu être assignés à résidence dans le cadre de l'état d'urgence invoqué à la suite des attentats de novembre". De nombreuses personnes concernées par cette mesure ont ainsi déposé des recours pour dénoncer cette violation de leur liberté, estimant qu’ils ne portaient pas atteinte à la sécurité de l’État. Une vingtaine de dossier ont été examinés par le Conseil d’Etat. Six mesures d'assignations ont par la suite été annulées totalement ou partiellement. Saisi par la LDH à ce sujet, le Conseil constitutionnel avait cependant jugé le 22 décembre dernier que les assignations à résidence dans le cadre de l'état d'urgence étaient conformes au texte fondamental de la République.
Avant une nouvelle et éventuelle prolongation de l’état d’urgence, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a promis que "tout sera évalué". Une décision devrait être prise dans les prochains jours, selon l’Élysée. Celle-ci sera en tout cas le choix du chef de l’État qui selon un proche, a surtout en tête "l'obsession" du risque d'un autre attentat.