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Haïti : l'élection présidentielle dans l'impasse

À cinq jours du second tour de la présidentielle en Haïti, des milliers de contestataires ont battu le pavé pour réclamer un nouveau scrutin tandis que Jude Célestin, candidat arrivé deuxième, menace de ne pas se présenter au second tour. Analyse.

Des véhicules incendiés, une station-service saccagée, des jets de pierres dans les rues de Port-au-Prince, le second tour de l'élection présidentielle haïtienne prévu dimanche 24 janvier s’annonce bien mal engagé. Plusieurs milliers de contestataires venant de quartiers pauvres, parfois violents, sont descendus dans les rues de la capitale lundi 18 janvier pour réclamer la création d'un gouvernement de transition et la tenue de nouvelles élections. Ils dénoncent des irrégularités lors du premier tour.

I am in Port-au-Prince, photographing the beginning of another uprising in #Haiti. #HaitiElections @RAMhaiti pic.twitter.com/unz3BQemjg

— daniel morel (@photomorel) January 18, 2016

Jovenel Moïse, le candidat soutenu par le chef de l'État Michel Martelly, et Jude Célestin, ancien dirigeant d'une agence gouvernementale, se disputent le fauteuil présidentiel. Ce dernier, arrivé deuxième lors du premier tour qui a eu lieu le 25 octobre dernier, accuse les autorités électorales de favoriser le parti au pouvoir et menace de ne pas se présenter au second tour. "Pour le 24, c'est non, je n'irai pas à cette farce, ça ne sera pas une élection, ça sera une sélection parce qu'il n'y aura un seul candidat", a assené le candidat.

"Un coup d'État électoral"

Son retrait n'a pour autant pas encore été officiellement signifié au conseil électoral provisoire (CEP), en charge de l'organisation du scrutin. "J'ai encore le temps avant les élections de faire un retrait si je dois le faire", a-t-il précisé. "Les élections ne pourront pas avoir lieu avec un seul candidat. […] Il faut être deux pour danser le tango et cette élection est à sens unique : c'est une sélection, un coup d'État électoral."

>> À (re)lire sur France 24 : "Élections en Haïti : la commission électorale pointe des 'irrégularités'"

Une situation qui inquiète les observateurs internationaux, à l’instar de Christophe Wargny, universitaire et collaborateur au Monde diplomatique. "Il y a deux hypothèses possibles sur la suite des événements, indique le spécialiste de la politique haïtienne à France 24. Mais quelle que soit l’issue de ce second tour, la situation sera mauvaise pour le pays. Soit les élections sont maintenues et, dans ce cas, les résultats seront contestables, donc pas de stabilité à l’horizon. Ou bien les élections seront reportées et le pays se trouvera sans gouvernance, un état de vacuité constitutionnel dont on peut tout craindre". La Constitution haïtienne prévoit en effet que le nouveau chef de l'État doit prêter serment avant le 7 février, un délai trop court pour organiser un nouveau scrutin, alors que celui-ci avait déjà été reporté.

Haïti, un malade sous perfusion

La communauté internationale s’est, elle, d’ores et déjà rangée en faveur d’un maintien du scrutin. Une position que regrette Christophe Wargny. "Le plus raisonnable serait tout de même de réorganiser des élections. Les acteurs de la communauté internationale soutiennent qu’il faut obtenir des résultats électoraux plus fiables au second tour, mais il serait difficile de faire pire, ironise-t-il. Les résultats du premier tour sont archi-faux !" Et d’ajouter, "la communauté internationale, qui a engagé des frais dans ces élections, entend poursuivre le processus électoral car elle croit encore qu’organiser des élections dans le respect du droit électoral est le gage d’une bonne gouvernance. Mais c’est faux. Les 30 années catastrophiques sous la présidence de Michel Martelly ont déjà prouvé le contraire."

Lors du premier tour de la présidentielle, à peine 26 % des électeurs s'étaient exprimés, preuve de la fracture entre la classe politique et la population, plongée dans l'extrême pauvreté. "La communauté internationale traite Haïti comme un malade profond que l’on maintient sous perfusion, comme si la classe politique était fiable alors qu’elle n’est faite que de voyous et de mafieux", fulmine l’universitaire.

En attendant, l'autorité électorale, qui a condamné les actes de violence de ces derniers jours, a assuré que le second tour de la présidentielle aurait bien lieu comme prévu le 24 janvier.