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Défenseur des forêts et du pétrole : au Brésil, Lula face à ses contradictions
Bien que le président Lula affiche de grandes ambitions en matière d'action climatique et de lutte contre la déforestation, il continue de miser sur le pétrole pour enrichir son pays. Une contradiction qu'il reconnait, arguant que "cet argent servira à financer la transition énergétique". 
Le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva lors d'un événement visant à annoncer des investissements dans l'industrie pétrolière et gazière, en juillet 2025. © Maura Pimentel, AFP

S'il est une image que Luiz Inacio Lula da Silva tente de cultiver, c'est celle d'un grand défenseur du climat. Dès son discours d'investiture en janvier 2023, le président brésilien promettait de faire de son pays "un leader dans la lutte contre la crise climatique". Près de trois ans plus tard, il s'apprête de nouveau à clamer cette ambition en accueillant la COP30, à Belém, aux portes de l'Amazonie.

Alors, quand, le 20 octobre – à peine trois semaines avant l'ouverture de ce grand raout des négociations climatiques –, la compagnie pétrolière nationale Petrobras annonce avoir obtenu l'autorisation de partir en quête de nouvelles réserves de pétrole, les défenseurs de l'environnement s'empressent de noter le paradoxe.

"La présidence brésilienne de la COP30 est dans une position hypocrite puisqu'elle proclame vouloir réhausser les ambitions climatiques tout en accordant une nouvelle licence d'exploitation pétrolière à sa compagnie nationale, dénonce Fanny Petitbon, responsable France de l'ONG 350.org. C'est complètement ahurissant".

"Cette autorisation est un sabotage de la COP et va à l'encontre du rôle de leader climatique revendiqué par le président Lula sur la scène internationale", abonde aussi l'Observatoire du climat dans un communiqué.

Manne financière

Voilà des décennies que Petrobras lorgnait sur ce territoire appelé "la Marge équatoriale", situé à 500 km de l'embouchure du fleuve Amazone et à 175 km des côtes. Et pour cause : comme ses voisins le Suriname et la Guyane, il renfermerait d'immenses quantités de pétrole et donc une importante manne financière. Selon les autorités, ces nouvelles réserves d'or noir pourraient rapporter jusqu'à 46 milliards d’euros et générer plus de 350 000 emplois.

Alors, si le projet s'était jusqu'ici heurté aux réticences de l'agence brésilienne de l'environnement, l'Ibama, celle-ci a finalement donné son aval au terme, justifie-t-elle, d'un "processus rigoureux" avec "plus de 65 réunions techniques."

Pourtant, le projet est loin d'être sans risque pour l'environnement, la biodiversité et les populations. Dans un rapport technique publié par le média Folha de São Paulo, l'Ibama note que cela pourrait avoir des impacts négatifs sur la population de lamantins qui peuple la zone – des mammifères aquatiques déjà menacés d'extinction.

La région abrite aussi la plus grande étendue continue de mangroves au monde, un écosystème fragile qui serait aussitôt menacé en cas de marée noire, insiste de son côté le site Brazil Journal. Les côtes de "la Marge équatoriale" abritent par ailleurs trois terres amérindiennes, six territoires quilombolas (peuplés de descendants d’esclaves) et d’innombrables villages de pêcheurs, qui seraient en première ligne en cas d'accident.

Le pétrole pour financer la transition

Face à ces risques, comment expliquer que le président Lula ait pu approuver ce projet, au risque de ternir son image de champion du climat ? "C'est là toute la dualité du président brésilien, pris en tenaille entre des intérêts économiques et écologiques", résume Catherine Aubertin, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Avec 3,4 millions de barils produits en moyenne par jour en 2024, le Brésil est le huitième exportateur mondial de pétrole. Depuis un an, c'est même devenu le premier produit d'exportation du pays, représentant 13,3 % des ventes extérieures et dépassant le soja. En 2024, en pleine COP29 en Azerbaïdjan, Lula assurait vouloir encore augmenter ses exportations pétrolières de 36 % d'ici à 2035.

Problème : selon les projections des autorités, les réserves des gisements devraient commencer à décliner à partir de 2030. De quoi susciter un léger vent de panique aussi bien dans les hautes sphères de l'État que chez Petrobras.

"La Marge équatoriale représente l'avenir de notre souveraineté énergétique. Nous défendons une exploration avec une responsabilité environnementale totale, en accord avec les standards internationaux", a ainsi défendu sur le réseau social X Alexandre Silveira, ministre brésilien de l'Énergie.

Pourtant, tous les scientifiques et défenseurs de l'environnement concordent : l'heure n'est plus à la recherche de nouvelles réserves. Au contraire, s'éloigner au plus vite des énergies fossiles – les principales émettrices de gaz à effet de serre – est indispensable pour ralentir le réchauffement du climat.

Selon les prévisions de l’Observatoire du climat, si la tendance des émissions du secteur de l’énergie brésilien se maintenait, celles-ci augmenteraient de 490,6 millions de tonnes de CO₂ actuellement à 558 millions de tonnes d’ici à 2050. Loin, donc, de la promesse ambitieuse du Brésil de réduire de 59 % à 67 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2035.

"C'est une contradiction qui est presque assumée chez le président brésilien", note Catherine Aubertin. "Il y répond en reprenant le même argument que d'autres grands acteurs du pétrole : il soutient que les revenus du pétrole serviront à financer la transition énergétique."

"Est-ce contradictoire ?", demandait ainsi Lula en juin 2024 à la radio brésilienne CBN, après avoir été interrogé sur la compatibilité entre ses ambitions écologiques et pétrolières. "Ça l’est [contradictoire]", avait-il concédé. "Mais tant que la transition énergétique n’aura pas résolu notre problème, le Brésil doit gagner de l’argent avec ce pétrole", avait-il assuré.

La déforestation en net recul

Pour Catherine Aubertin, à l'heure de faire un premier bilan de la politique climatique de Lula, cette problématique revêt cependant avant tout un caractère symbolique. Car "si le Brésil exporte son pétrole, il est en même temps un très bon élève en termes de consommation énergétique intérieure : 89 % de sa production d'électricité vient des énergies renouvelables", note-t-elle.

Et au-delà de cette contradiction sur les énergies fossiles, Lula a multiplié les mesures pour tenir ses engagements, insiste l'économiste. Depuis 2023, le président brésilien a par exemple mis en place une politique nationale de transition énergétique, avec un potentiel d'investissement de 2 000 milliards de reals (330 milliards d'euros) et ratifié une loi créant un marché du carbone obligatoire.

Mais sa principale victoire pour l'environnement est sur un autre terrain : celui de la lutte contre la déforestation. Dès son arrivée au pouvoir, il avait brandi le sujet comme l'un des grands combats de son mandat. Il avait immédiatement nommé au ministère de l'Environnement Marina Silva, qui était déjà parvenue à faire baisser fortement la déforestation pendant ses deux premiers mandats (2003-2010), et avait réactivé le Fonds Amazonie, un mécanisme de financement international. En parallèle, il a nettement renforcé les régulations et les contrôles contre le déboisement illégal.

En deux ans, il a engrangé des résultats spectaculaires. Alors qu'elle avait atteint plus de 10 000 km² en 2022, dernière année de la présidence Bolsonaro, la déforestation a diminué de moitié dès 2023, et continué à baisser pour atteindre près de 4 200 km² en 2024. Le déboisement a aussi baissé dans d'autres écosystèmes sensibles, comme le Cerrado, savane très riche en biodiversité située au sud de l'Amazonie.

"La déforestation est principalement due à la construction d'infrastructures et à l'expansion agricole, légale ou illégale", rappelle Erin Matson, consultante au sein de la société Climate Focus et autrice d'un vaste rapport publié mi-octobre sur l'état des forêts du monde. "Les très bons résultats du Brésil montrent qu'en renforçant simplement les contrôles on parvient à baisser rapidement et drastiquement la déforestation."

"À long terme, endiguer la déforestation ne pourra passer que par des changements profonds de notre modèle économique, puisque les pressions sur les forêts continuent d'augmenter au fur et à mesure que la demande mondiale en soja, en bois et en papier augmente", nuance-t-elle. "Mais le Brésil offre un très bon exemple pour montrer que quand un chef d'État se mobilise, les résultats sont là."

Un président "pieds et poings liés"

À la fin, "Lula agit avec les leviers dont il dispose", tranche Catherine Aubertin. Car avec un Congrès dominé par des conservateurs favorables à l'exploitation du pétrole et des sphères politiques encore fortement dominées par les représentants de l'agro-industrie, "il est pieds et poings liés et doit composer avec un tas de pressions, parfois contradictoires".

En ce sens, le monde de l'agro-négoce, pourtant responsable de 30,5 % des émissions de gaz à effet de serre du pays, semble resté à l'écart de toutes mesures environnementales qui l'affaibliraient. Le secteur a par exemple réussi à se soustraire à l’application de la loi sur le marché du carbone grâce au soutien du Front parlementaire agricole, composé de 290 députés et 50 sénateurs.

À l'approche de la COP30, reste à savoir comment les contradictions du président brésilien transparaîtront dans les négociations climatiques. Fidèle à sa posture, il semble pour le moment éviter soigneusement l'épineux sujet des énergies fossiles. En revanche, il l'a d'ores et déjà annoncé : cette COP devra faire la part belle aux forêts. Il espère ainsi qu'une des grandes avancées du sommet sera l'adoption du "Tropical Forever Forest Facilities", TFFF, un nouveau mécanisme financier présenté comme une nouvelle solution pour lutter contre la déforestation.