
Grièvement blessée lors de l'attaque terroriste qui a fait 30 morts à Ouagadougou le 15 janvier, la photographe franco-marocaine Leila Alaoui est décédée lundi soir des suites de ses blessures. Elle avait 33 ans.
La photographe franco-marocaine et vidéaste Leila Alaoui, dont le travail a tout récemment fait l'objet d'une exposition à la Maison européenne de la photographie (MEP) de Paris, est décédée lundi 18 janvier, dans une clinique de Ouagadougou, au Burkina Faso. Elle avait été grièvement blessée lors d'un attentat survenu trois jours auparavant dans la capitale burkinabè. Elle avait 33 ans.
"Elle est décédée aux environs de 21 h 15 (locale et GMT) dans une clinique de Ouagadougou des suites d'un arrêt cardiaque", a indiqué lundi soir l'ambassade du Maroc au Burkina Faso, ajoutant que "la dépouille de la défunte sera rapatriée au Maroc aussitôt après accomplissement des procédures requises".
La jeune femme se trouvait dans la capitale du Burkina Faso depuis moins d’une semaine, dans le cadre d'un reportage pour Amnesty International. "Off to Burkina Faso !", annonçait-elle sur sa page Facebook le 11 janvier. Le 15 janvier, elle était au café-restaurant Capuccino, très prisé des Occidentaux, quand des jihadistes du groupe islamiste Al-Mourabitoune ont ouvert le feu avant de s'engouffrer dans l'hôtel Splendid voisin, faisant 30 morts - dont trois Français - et une cinquantaine de blessés. Le chauffeur burkinabè qui l'accompagnait a été tué à ses côtés.
Une prise en charge rapide
"Leila a été touchée par les balles du terroriste à bout portant au poumon, à l’abdomen, au bras, à la jambe et au rein", indiquait lundi la mère de la photographe, Christine Alaoui, dans un message adressé au Quai d’Orsay et publié sur les réseaux sociaux. La jeune femme avait pu être immédiatement emmenée à l’hôpital.
"Un jeune homme l’a emmenée à l’hôpital où elle a immédiatement été prise en charge", avait précisé Samira Daoud, directrice régionale adjointe d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre, à France 24. "Elle a été extrêmement bien opérée pendant plus de 6 heures et admirablement soignée par l’équipe burkinabaise [sic] de la Clinique Notre Dame de la Paix", poursuivait Christine Alaoui, précisant que sa fille devrait être transférée mardi.
Interrogés par France 24 lundi, des responsables d'Amnesty International avaient affirmé que son état de santé n'inspirait plus d'inquiétude. L'ONG a confirmé le décès de la jeune femme mardi matin sur son compte Twitter.
Son chauffeur, dont l’identité n'a pas été révélée, n’a pas non plus survécu à l’attaque. "Nous l’avons recherché pendant deux jours et son corps a finalement été identifié dimanche", indique Samira Daoud. Cette dernière déplore "la mort tragique" d’un homme avec qui Amnesty International collaborait depuis plusieurs années. "Nous sommes aux côtés de la famille qui recevra tout le soutien nécessaire de la part d'Amnesty", ajoute-t-elle.
Rendre hommage à ses modèles
Leila Alaoui avait été engagée par l’organisation internationale pour un projet intitulé "Mon corps : mes droits", une campagne d’information sur le mariage précoce au Burkina Faso et au Mali. Un rapport ainsi qu’une exposition de ses photos devaient initialement être présentés au public en avril prochain.
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"Leila avait déjà envoyé de très bons clichés", assure Samira Daoud. "Malheureusement, elle s’est trouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Elle était parfaite pour ce travail : à la fois à l’aise sur le terrain tout en gardant de la distance. De plus, le fait qu’elle soit une femme facilitait le dialogue avec ses modèles", poursuit-elle. Leila avait initié une série de portraits de jeunes filles, "sans les victimiser mais au contraire pour leur rendre hommage", poursuit Samira Daoud.
Une démarche quasi-anthropologique
Née en 1982 à Paris, Leila Alaoui a passé son enfance à Marrakech, avant de s’envoler pour New York, le bac en poche, pour suivre des études en sociologie et photographie documentaire. Elle partageait dernièrement son temps entre le Liban et le Maroc.
Fine connaisseuse du terrain nord-africain, elle avait entamé au Burkina Faso un reportage dans la lignée de sa série "Les Marocains", exposé à la MEP jusqu’au 17 janvier 2016, à Paris, dans le cadre de la Biennale de la photo du Monde arabe. Photographe sensible, à la démarche quasi-anthropologique, Leila Alaloui prenait un soin particulier à se tenir à l’écart des clichés ethnocentristes ou orientalistes - cet "Orient créé par l’Occident" tel que l'a défini Edward Saïd, cherchant à montrer la fierté et la dignité de ses modèles.
Dans sa dernière exposition, elle présentait une série de portraits d’hommes et de femmes en tenue traditionnelle, mue par la volonté de témoigner d’une richesse culturelle menacée, plutôt que par une quête d’exotisme. "Cette série est un travail d’archives pour témoigner d’une diversité qui risque de disparaître", expliquait la photographe début novembre à France 24 .
Leila Alaoui avait précisé ne jamais faire poser ses modèles, rencontrés au cours d'un périple à travers les régions reculées du Maroc. "J’installe mon studio en extérieur, les jours de marché. Les gens passent, ceux qui veulent s’arrêtent. La seule chose que je leur demande, c’est de rester face à moi", avait expliqué la photographe, qui ne reniait par l’influence de Robert Franck, qui a parcouru les États-Unis à la fin des années 1950 pour photographier "Les Américains".