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Attentats du 13 novembre : une association pour rompre l’isolement

Deux rescapées du Bataclan sont à la tête de l'association "Life for Paris", visant à mettre en relation les centaines de survivants des attentats de Paris. Une "grande famille" unie dans un désir de reconstruction. Rencontre.

"J'ai continué à vivre à peu près normalement." Maureen Roussel, 28 ans, sortie indemne de l'attaque du Bataclan le 13 novembre, a rapidement repris son activité d'assistante maternelle à domicile après les évènements et est retournée dans les restaurants et les cafés. Cette jeune femme vivant en banlieue parisienne est parvenue à s'échapper rapidement de la salle de spectacle où jouaient les Eagles of Death Metal lorsque les trois terroristes ont fait irruption.

Durant le mois qui a suivi, tout paraissait irréel, jusqu’à ce matin du 13 décembre, 13 comme le jour des attentats, où Maureen s’est regardée dans le miroir, découvrant ses traits tirés et son corps amaigri. "Je pensais que ça ne m’avait pas atteint car je n’ai pas été blessée. Mais c’est une blessure beaucoup plus vicieuse", raconte-t-elle, jeudi 14 janvier, installée dans un café du centre de Paris.

Cette mère de famille se rend alors compte qu’elle n’est plus en état de travailler et décide de se consacrer à sa communauté lancée deux semaines plus tôt, "Life for Paris", visant à rassembler les centaines de personnes ayant vécu, comme elle, l’horreur dans le Bataclan.

"Ce n’est pas parce que notre peau n’est pas marquée, qu’il ne s’est rien passé et que cela n’a pas blessé notre chair. Nous sommes plus de 1 000. Plus de 1 000 à être sortis de cette salle, plus de 1 000 personnes pour qui les choses ne seront plus jamais exactement les mêmes… C’est énorme. Dans ce malheur, notre chance est d’être nombreux, je pense qu’il est important de transformer cela en force", écrit-elle, dans un message publié sur Facebook, vu plus d’un million de fois et partagé par 25 000 utilisateurs.

Très vite, Maureen est submergée par l’ampleur du phénomène. "Parfois, le matin en me réveillant, je m’apercevais que j’avais reçu une cinquantaine de messages dans la nuit venant de victimes qui avaient besoin de parler." Parmi ces messages, celui de Caroline Langlade, qui deviendra vice-présidente de "Life for Paris", lui demandant de l’aide pour retrouver une personne croisée ce funeste soir.

Peur des parapluies et des portes qui claquent

Désormais, le groupe privé Facebook compte plus de 400 membres. Une plateforme qui permet des échanges quotidiens. Certains internautes veulent, comme Caroline, mettre des noms sur des visages aperçus ce soir-là, retrouver des regards complices dans le chaos, prendre des nouvelles de blessés ou remercier des personnes qui ont pu leur venir en aide.

"Certaines victimes ont la trouille de sortir de chez elles, d’aller faire leurs courses", explique Caroline, la gorge serrée et les yeux humides. Elle-même s’est arrêtée de travailler dès le lundi suivant les attaques car "elle ne peut plus réfléchir". Le soir du 13 novembre, Caroline est restée enfermée durant plusieurs heures dans une des loges du Bataclan gardée par un "terro".

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Maureen, elle, a un temps eu du mal à avouer à ses proches qu’elle avait désormais peur des parapluies. "Parfois, on a des réactions qui peuvent paraître bizarres, livre-t-elle. Il y a quelque temps, quand je me baladais dans la rue et que je voyais une personne avec un parapluie replié, je voyais une arme. Je panique aussi dès qu’il y a quelque chose qui tombe, des portes qui claquent, des bruits sourds répétés. Entre nous, on finit par en rire."

Des symptômes que tous les rescapés vivent à leur manière. Le but de l’association est donc avant tout de lutter contre l’isolement des victimes, répètent les jeunes femmes. "Aujourd’hui, on communique car on réalise qu’il y a beaucoup de gens qui sont encore isolés. On est plus forts quand on est nombreux. Et au-delà de cela, on trouve que réagir à la peur et à la mort par de la solidarité et de la vie, c’est la meilleure des réponses."

"Comme des jumeaux"

Via Facebook, les victimes se rencontrent, organisent des sorties dans des bars. "Parfois une personne nous dit ‘je dois aller à un concert ou en terrasse ce soir et j’ai peur de ne pas y arriver’, alors une autre se propose de l’accompagner." Certains membres organisent aussi des visites à l’hôpital pour rencontrer ceux qui y sont toujours soignés, une cinquantaine, selon la ministre de la Santé, Marisol Touraine.

"Quand on se rencontre, on a l’impression de se connaître depuis longtemps. Les barrières de la vie normale sautent entre nous. On s’embrasse, on s’aime. On a tous conscience d’être très fragiles, on a le souhait de se protéger", explique Maureen, qui parle même d’un "amour inconditionnel. [...] À chaque fois que deux victimes se retrouvent, elles sont très, très heureuses."

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"On est comme des jumeaux, ajoute Caroline, il y a un lien très fort et invisible entre nous. Nous n’avons pas besoin de parler pour savoir ce que nous ressentons."

Un "effet miroir" crucial pour ces rescapées qui expliquent ne pas vouloir tout raconter à leurs proches. "Il y a certaines choses que l’on ne peut pas dire, on veut les préserver, disent-elles. Et puis, on a besoin parfois de parler de ce que l’on a vu sans qu’il y ait de ‘Oooh’ de surprise ou de choc."

Au-delà des émotions, beaucoup de survivants du drame sollicitent l’aide de Maureen et Caroline dans leurs démarches administratives. "On a droit à plein de choses mais il faut savoir s’adresser aux bonnes personnes", détaille Caroline. Chaque rescapé des attentats du 13 novembre a accès à la gratuité des soins et est considéré comme une victime civile de guerre par l’ONAC (Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre). Un Fonds de garantie, qui englobe la prise en charge par l’État de toutes dépenses liées de près ou de loin aux attentats, depuis les soins médicaux jusqu’aux frais de transport permettant à une victime de rentrer dans sa famille, a également été mis en place. Des aides auxquelles les victimes résidant dans des pays étrangers ont parfois du mal à avoir accès.

La honte de ne pas avoir été un "super-héros"

Assises côte à côte et parlant d’une voix douce, les deux femmes racontent leur besoin de légitimité, lorsqu’on est une victime en vie et sans blessure physique mais une victime tout de même, en même temps leur crainte que ce statut "ne leur colle à la peau". Elles disent également leur sentiment de culpabilité de s’en être sorties, quand d’autres sont morts laissant derrière eux des enfants orphelins. Leur honte de ne pas avoir été de "super-héros" comme on espère pouvoir l’être dans ce genre de situation. Leur sensation de décalage avec les choses futiles. "Mais au final, il ne faut pas culpabiliser", se dit Maureen.

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Devant les nombreuses réactions que suscite leur association, les deux comparses de mésaventure ne souhaitent pas s’arrêter là. Elles travaillent à la création d’un site web et d’un forum "pour toucher les gens qui ne sont pas sur Facebook".

Quant aux victimes qui refusent de faire partie de ce rassemblement d’"anciens combattants", à l’image du compagnon de Caroline présent aussi dans la salle du Bataclan, les jeunes femmes ne les excluent pas. "Ce n’est pas grave, l’important c’est que l’association existe. Peut-être que ces personnes auront besoin de notre aide dans un mois, dans un an. Alors, nous serons là."