logo

Les jihadistes de l’EI, grands gagnants des tensions entre Riyad et Téhéran

La crise diplomatique aigüe entre l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite risque non seulement de perturber la lutte contre l’EI, mais aussi de paralyser les pourparlers de paix autour des dossiers syrien et yéménite. Décryptage.

La tension ne cesse de monter entre Téhéran et Riyad, après la crise déclenchée par l'exécution, le 2 janvier, du dignitaire chiite saoudien Nimr Baqer al-Nimr et des attaques de représailles contre des missions diplomatiques saoudiennes en Iran.

Après l’annonce, par le royaume wahhabite, dimanche, de la rupture des relations diplomatiques avec son rival régional honni, un nouveau pas a été franchi ce lundi, avec le Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Soudan qui ont rappelé leurs ambassadeurs en Iran. Sans compter que les autorités saoudiennes ont décidé, ce lundi aussi, de suspendre ses liaisons aériennes et tous ses liens commerciaux avec la République islamique.

Cette crise diplomatique intervient à un moment très critique pour le Moyen-Orient, déjà miné par les violences et les tensions confessionnelles entre sunnites et chiites. Et ce, alors même qu’un mince espoir avait été entrevu fin décembre concernant des règlements politiques des conflits en Syrie et au Yémen, dont l’Iran et l’Arabie saoudite sont des acteurs directs ou indirects sur le terrain, et que la lutte contre l’organisation de l’État islamique (EI) commençait à enregistrer des résultats sur le terrain.

Un coup dur pour la lutte contre l’EI

Or cette escalade ne peut que faire le jeu des jihadistes de l’EI, qui attisent et qui se nourrissent des haines communautaires. Ils doivent assurément se réjouir de voir les puissances régionales qu’ils exècrent, et qui les combattent, se déchirer depuis quelques jours. Un coup dur de plus pour la cohésion de cette lutte, après la vive tension qui empoisonne les relations entre deux autres acteurs incontournables de la lutte contre l’EI, la Russie et la Turquie, survenue après un incident aérien en novembre.

"Le grand gagnant dans cette affaire, concernant les théâtres syrien et irakien, est évidemment l’EI, car cette escalade risque de perturber tout le processus de la lutte contre l’EI, qui ne peut se passer de l’une ou l’autre puissance de la région", note Virginie Herz, spécialiste de politique internationale à France 24.

Même son de cloche du côté d’Azadeh Kian, sociologue et spécialiste de l’Iran à l’université Paris-VII-Diderot. "Si l'Iran et l'Arabie saoudite ne collaborent pas contre Daech, forcément, c'est Daech qui va en profiter, explique-t-elle au journal 'Le Parisien'. C'est pour cela que les Américains et les Européens doivent intervenir pour calmer les tensions".

Vers une remise en cause des discussions de paix en Syrie et au Yémen ?

En effet, les pays occidentaux doivent prendre leurs responsabilités, non seulement dans la lutte contre l’EI, mais aussi pour sauver des dossiers capitaux pour le Moyen-Orient et éviter un embrasement entre chiites et sunnites. "Il y avait un réel espoir à la fin de 2015, car les discussions de paix devaient être relancées fin janvier, que ce soit pour la Syrie ou pour le Yémen, précise Virginie Herz. Or avec cette crise entre Iraniens et Saoudiens, nous avons l’impression que tout est remis en question, que même s’il est encore trop tôt pour se prononcer, elles risquent toutefois d’être infructueuses".

Et d’ajouter : "Les Occidentaux doivent faire pression sur les différents acteurs ne serait-ce que pour sauver le processus en Syrie, en lui permettant d’aller le plus loin possible, ce qui est impossible sans Téhéran et Riyad qui ont participé aux négociations fin octobre à Vienne". Car le risque que les tenants de la ligne dure de chaque camp ne s’engouffrent dans la brèche pour alimenter les tensions et aggraver la situation est réel. "En Iran par exemple, les modérés que sont le président Hassan Rohani et le chef de la diplomatie Mohammad Javad Zarif, qui semblent attachés aux discussions, vont être immanquablement attaqués dès qu’ils auront une position un petit peu trop diplomatique vis-à-vis de Riyad ou de ses intérêts".

Or les alliés occidentaux des Saoudiens, notamment américains et français, paraissent fortement embarrassés par cette affaire. Comme le démontre la timidité des réactions officielles. "Les États-Unis et la France ont certes appelé à la retenue, mais les deux pays semblent dépourvus de leviers pour agir sur les deux acteurs de cette crise, analyse Virginie Herz. Surtout vis-à-vis de Riyad, parce qu’il s’agit d’un partenaire stratégique dans la lutte contre l’EI, et parce que le royaume est un de leurs meilleurs clients en matière d’achat d’armes".

La Russie se pose en intermédiaire

Selon Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Washington, pour des raisons historiques d’inimitié entre les États-Unis et l’Iran, n’est pas qualifié pour jouer le rôle d’intermédiaire. "Il faut trouver un médiateur, qui ne peut pas être les États-Unis, pour trouver une porte de sortie", indique-t-il dans une vidéo publié sur le site de l’IRIS.

De son côté la Russie, qui n’a de cesse de pousser à la création d'une large coalition contre l’EI, s’est dite "prête à servir d'intermédiaire" pour résoudre cette crise, a indiqué à l'AFP un responsable au ministère russe des Affaires étrangères. Selon une autre source diplomatique russe, citée par l'agence de presse Tass, Moscou est prêt à accueillir des pourparlers entre les chefs de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, et saoudienne, Adel al-Jubeir.

Si nos partenaires, que sont l'Arabie saoudite et l'Iran, montrent leur disponibilité et leur volonté, alors notre initiative restera sur la table", a déclaré cette source, qui a requis l'anonymat. Or Ryad ne semble pas, pour l’instant, pencher en faveur de la désescalade.