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Pourquoi je porte un coquelicot le 11-Novembre : l'histoire du soldat John O’Leary

Chaque année en novembre, Mark Owen, journaliste à France 24, porte un coquelicot à sa boutonnière. Une tradition pour se souvenir de ceux qui sont tombés lors de la Grande Guerre, notamment son grand-oncle, tué durant la bataille de la Somme.

"Que signifie cette fleur, Mark ?" C’est une question que l’on m’a souvent posée ces derniers jours à France 24. C’est mignon de voir que vous semblez tous penser que ce coquelicot épinglé sur ma veste est une jolie bizarrerie britannique.

Je le porte durant les commémorations du 11-Novembre en hommage à ceux qui ont été tués au cours des guerres. Le "poppy" renvoie aux coquelicots qui poussaient encore dans les champs de Flandres durant la Première Guerre mondiale, malgré la pluie d'obus.

Chaque année au Royaume-Uni, la Royal British Legion, l’association qui soutient les vétérans britanniques, lance "L’appel du coquelicot". En échange d’un "poppy", chaque personne fait une petite donation. Tout a commencé lorsqu’un docteur canadien, qui a servi durant la Grande Guerre, le lieutenant Colonel John McRae, a écrit un poème sur son expérience intitulé "In Flanders Fields" ("Dans les champs des Flandres"). Dans celui-ci, il écrit : "In Flanders fields the poppies grow between the crosses row on row" ("Dans les champs de Flandres, les coquelicots fleurissent entre les rangées de croix").

Des coquelicots en soie ont d’abord été conçus aux États-Unis par une universitaire, Moina Michael, puis l’idée a été importée en Grande-Bretagne par la Française Anna Guérin. En 1921, la Royal British Legion, créée à Londres, commande neuf millions de "poppies" lors du premier appel du coquelicot. Cette tradition a perduré jusqu’à nos jours et l’association utilise l’argent récolté pour venir en aide aux vétérans de guerre.

L’histoire de John O’Leary

Commémorer les morts est aussi un acte très personnel. Le frère de ma grand-mère a en effet été tué lors de la bataille de la Somme en 1916. Le soldat John O’Leary du 9e King’s Liverpool Regiment n’avait que 21 ans. Il faisait partie des 70 000 soldats qui ont perdu la vie dans ces combats.

Le télégramme qu’a reçu sa mère dans sa petite maison près des docks de Liverpool offre un compte rendu simple et froid de la bataille dans le plus pur style militaire. Je ne peux même pas imaginer ce qu’elle a pu ressentir, son impuissance la plus totale. Ma grand-mère ne parlait jamais de son frère. Elle ne m’en a parlé qu’une seule fois. J’étais alors un petit garçon mais je me souviens que son beau visage avait brutalement été envahi par une profonde tristesse.

John O’Leary a été décoré par deux fois pour son sacrifice et son nom est inscrit sur le monument de Thiepval dans le nord de la France. Tous les membres de sa famille ont vécu avec cette perte au long de leur vie.

Le coquelicot, qui est traditionnellement fabriqué en papier avec une tige en plastique, est surtout un symbole pour se souvenir de tous ces soldats tués au cours d’un conflit. Ma grand-mère s’est mariée avec un homme qui, avec ses huit frères, a participé à la Seconde Guerre mondiale. L’histoire de ces neufs garçons est connue car aucune autre famille n’a autant contribué à l’effort de guerre. Ils ont tous été dans le feu de l’action et ils sont tous revenus vivants. Quelqu’un a dû veiller sur eux.

Mon grand-père Billy était un exemple pour nous tous. Il fut l’un des plus vieux soldats à prendre part à la Seconde Guerre mondiale, et l’un des plus jeunes à se porter volontaire durant la Première. Il avait ce qu’on pourrait appeler "un sacré caractère".

Une jeunesse gâchée par la guerre

Mon propre père, Lenny Owen, faisait partie de la marine marchande au cours de la Seconde Guerre mondiale. Effectuer ce type de transports entre les États-Unis et la Grande-Bretagne à cette époque était très risqué. Il m’a raconté comment les sous-marins allemands guettaient les navires au milieu de l’Atlantique et lançaient leurs torpilles sur les convois. Il a pourtant survécu à la guerre, notamment à la bataille de l’Atlantique en 1941. Mais il n’a pas reçu de médaille pour sa participation au conflit, même s'il y a perdu sa jeunesse. Il n’y a qu’un petit monument dans le port de Liverpool pour ceux qui sont morts dans la marine marchande. Je suis heureux qu’il ait pu revenir, car sinon je ne serai pas de ce monde.

Pendant longtemps, j’ai pensé que le "poppy" était une glorification de la guerre. Mais désormais, je vois les choses différemment. Pour moi, il s’agit de se souvenir de ceux qui se sont sacrifiés pour que je puisse faire mon métier librement et avec honnêteté et aussi de ne pas oublier ceux qui ont déclaré la guerre et envoyer ces jeunes au front. Est-ce que John O’Leary a choisi de partir à la guerre ? Nous connaissons la réponse.

Des tragédies personnelles

Je plains mes collègues de France 24 qui viennent de pays comme la Syrie. Leur vie a été bouleversée par le conflit qui fait rage là-bas. Ce qu’ils traversent est inimaginable, mais cela se déroule pourtant devant nos yeux. Tous les reportages ou toutes les statistiques que nous diffusons à l’antenne concernent ces gens et leurs familles, leur tragédie personnelle. Nous ne devons jamais l’oublier.

Je vous encourage à lire le récit de Samar Yazbek sur son voyage à travers son pays natal, un témoignage sur les horreurs commises actuellement en Syrie (Samar Yazbek, "The Crossing : My Journey To The Shattered Heart of Syria"). Je pense aussi à tous mes collègues qui ont traversé la guerre civile au Liban ou encore au réalisateur de Gaza Radjaa Abou Dagga. Il y a aussi tous ces conflits qui font encore rage en Afrique. Pourquoi la liste est-elle sans fin ?

Le 11 novembre, il y aura un moment de silence. Prenez le temps de réfléchir aux raisons qui font que les guerres continuent d’exister. Pensez à ceux qui ont le pouvoir de les arrêter. Pensez à ceux qui ont donné leur vie pour que nous puissions profiter des nôtres. Vous savez à qui je pense.

Lectures recommandées :

Samar Yazbek, "The Crossing"
Wilfred Owen "Dulce et Decorum Est" (un poème écrit durant la Première Guerre mondiale sur une attaque de gaz dans les tranchées)
Laurence Binyon, "For The Fallen" (un poème de 1914)